« La loi Création et patrimoine » comporte des lacunes considérables
L’actuel maire de Versailles (55 ans) a un long parcours dans la culture. Cet énarque, inspecteur des finances, a présidé de 1999 à 2002 la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture et dirigé la Fondation du Patrimoine jusqu’en 2002 avant de devenir le conseiller Culture de Jean-Pierre Raffarin à Matignon entre 2002 et 2004. Il a été président de la Cité de l’architecture de 2004 à 2012, année de son élection à l’Assemblée Nationale. Il commente en particulier la loi Création et Patrimoine, pour laquelle il procède actuellement aux auditions.
Pourquoi avoir publié un texte dans La Croix pointant la baisse des crédits du Patrimoine ? Parce que je veux alerter d’une situation préoccupante. La baisse du budget de la Culture en 2013 et 2014 a surtout touché le programme Patrimoine, avec une coupe de 110 millions d’euros. C’est malheureusement un grand classique. Quand il y a nécessité de faire des efforts budgétaires et que c’est appliqué au ministère de la culture, c’est toujours d’abord le budget du patrimoine qui se trouve amputé. Ce n’est pas propre à cette période-là, mais ici l’ampleur de la coupe est très significative. Elle est même étonnante par rapport à un discours qui se veut positif sur la culture. Et cette baisse des crédits se répercute d’année en année, ce qui a été coupé en 2013 et 2014 continue à être coupé en 2015. Dans le même temps, les dotations de l’Etat aux collectivités locales ne cessent de diminuer. Et quand on sait que les villes financent 75 % de la Culture, on ne peut qu’être inquiet. Par exemple à Versailles, cela représente 8 points d’impôts locaux.
Versailles va-t-elle signer un Pacte culturel avec l’Etat ? Non, au début j’étais demandeur, mais quand j’ai constaté que ces pactes ne font pas augmenter les aides de l’Etat qui sont pourtant très faibles pour la ville de Versailles, j’ai fait machine arrière. Ce qui n’empêche pas que je vais maintenir le budget culture car je suis très volontaire en la matière.
Pourquoi votre proposition d’un tirage spécial du loto pour financer le Patrimoine au moment des Journées du Patrimoine n’a pas été retenue ? Je ne sais pas et je n’ai même pas reçu de réponse du ministère de la Culture ! Pourtant le directeur du Patrimoine était intéressé et j’ai eu le soutien de Patrick Bloch (PS), président de la Commission culture à l’Assemblée Nationale. En fait c’est une vieille idée à laquelle beaucoup de pays européens ont recours et que j’ai eue lorsque j’étais directeur général de la Fondation du Patrimoine. Cette idée est même à l’origine de la constitution du « G8 Patrimoine », qui rassemble les associations nationales du patrimoine bâti et paysager et s’impose aujourd’hui comme un interlocuteur des pouvoirs publics. A l’époque, le ministère des finances s’y était déjà opposé craignant que l’on ouvre la boite de Pandore.
Pourquoi êtes-vous peu favorable à la Villa Médicis de Clichy-Montfermeil ? Je n’ai jamais trouvé ce projet emballant, même quand Frédéric Mitterrand l’a proposé. Je comprends le bénéfice en terme de communication, la banlieue, un lieu difficile, mais objectivement quand on est un touriste étranger, est-ce que c’est vraiment là qu’on a envie d’aller ? C’est un projet couteux, près de 30 millions d’euros annoncés, auxquels vont s’ajouter les habituelles dérives budgétaires plus d’importants frais de fonctionnement pour faire venir les artistes. Est-ce que c’est vraiment la priorité quand on sait qu’il existe partout des écoles d’art où on pourrait accueillir des artistes en résidence, ne vaudrait-il pas mieux créer une coordination qui permettrait d’essaimer plutôt que de polariser sur un lieu dans un moment budgétaire difficile ? Par ailleurs, ce qui me gêne c’est qu’on veuille en faire un lieu pour la diversité culturelle, et fixer ces jeunes artistes dans leur propre environnement alors qu’il faudrait les envoyer ailleurs à la rencontre d’autres milieux.
Vous procédez actuellement aux auditions parlementaires dans le cadre de l’examen de la loi Création et Patrimoine, quel est votre sentiment général sur cette loi ? Elle part de bonnes intentions, mais elle arrive bien tard, et c’est une loi fourre-tout, cela ressemble à la loi Macron. On ne voit pas l’idée directrice, il fallait d’abord séparer le Patrimoine et la Création. Je vois beaucoup de déclarations d’intention positive, mais je ne vois pas la nouveauté, l’imagination. Il y a également des lacunes considérables, par exemple il n’y a quasiment rien sur la formation artistique, le patrimoine paysager et rien sur le patrimoine vernaculaire, le petit patrimoine de proximité. Il faudrait au moins en faire l’inventaire. Et puis cette loi amène des inquiétudes nouvelles.
Quelles sont ces inquiétudes ? Cela concerne en particulier la fusion des trois régimes différents d’espace sauvegardé en un seul, celui de Cité historique et son passage au régime du Plan Local d’Urbanisme. Or le PLU c’est le maire qui décide alors qu’auparavant toutes les protections figuraient dans un cahier des charges qui s’imposait à lui. Par ailleurs, la loi NOTRe pousse la charge de l’urbanisme et donc le PLU aux intercommunalités. Moi je suis aussi président d’une intercommunalité et j’en ai une vision assez claire. Le maire est plus sensible aux questions patrimoniales que le président de l’intercommunalité. Quand vous êtes maire et que vous avez un patrimoine, vous avez une sensibilité, vous connaissez cela de façon tangible, c’est chez vous, et donc vous serez prudent. Le président de l’intercommunalité, dans la très grande majorité des cas ne sera pas le maire où il y a un projet de réaménagement du patrimoine. Il y sera indifférent, il sera beaucoup plus préoccupé de répondre aux quotas de logements sociaux, de répondre à la pression pour construire, qu’à la question patrimoniale. Il peut même y avoir des problèmes de personnes, le président de l’interco qui ne s’entend pas avec le maire doté d’un patrimoine va plus facilement répondre favorablement aux demandes des promoteurs.
Mais vous qui stigmatisez le jacobinisme culturel , n’est-ce pas aller dans le sens de la décentralisation ? Il faut confier les responsabilités au bon niveau. Il y a des choses sur lesquelles l’élu a besoin d’être protégé vis-à-vis de ses administrés. Il y a une pression économique et foncière terrible des administrés. L’Etat avec sa connaissance, sa légitimité, c’est un rempart. La décentralisation a besoin à la fois d’autonomie financière qui est en train de nous être enlevée et de remparts. L’élu ne peut pas être toujours au feu tout seul.
Etes-vous favorable au projet de construction d’un hôtel en bordure de l’Orangerie ? Oui je l’ai dit à plusieurs reprises. Ce bâtiment, à l’extérieur du parc est très abimé, il servait de mess aux officiers. Soit l’Etat le rachète, mais il n’a pas d’argent soit on le réhabilite de manière vivante comme je l’ai fait avec l’hôpital Richaud (Lire JdA n° ). En fait c’est un vieux projet. C’est Jean-Jacques Aillagon qui avait lancé un appel d’offres en ce sens il y a 5 ans. Il est relancé aujourd’hui car l’hôtelier qui avait été choisi n’a finalement pas donné suite.
Qu’allez-vous faire de l’ancienne Caserne Pion à l’Ouest du Parc que vous avez rachetée 7 millions plus 4 millions pour le dépolluer ? J’ai été attaqué sur le thème « ce terrain doit revenir au Château ». Or c’est l’Etat lui-même qui veut s’en défaire et en obtenir le prix maximum. Nous l’avons acheté pour éviter des grandes surfaces ou une promotion immobilière mal maitrisée. Je fais travailler le paysagiste Michel Desvignes qui connait bien le paysage XVIIe, pour redonner un peu de prestige à cette zone jusqu’alors occupée par des entrepôts minables. L’idée est de construire une terrasse, des logis promenades et des logements peu élevés en jouant la carte de la Ville nature, un concept que l’on développe à Versailles. Je vous livre un scoop, j’aimerais que chaque logement ait un jardin ou une terrasse. Je suis très pingre sur les dépenses de la ville, les gens le savent, mais je suis prêt à faire des efforts importants si c’est l’histoire du patrimoine qui est en jeu parce que c’est le long terme.
Vous n’étiez pas très favorable à l’ouverture tous les jours du château de Versailles. Que pensez-vous de la proposition du Président de la République de réserver les septième jour aux scolaires ? Le Président avait fait une annonce sans qu’il y ait eu une consultation des intéressés, je pense notamment aux conservateurs, ni une étude d’impact. A l’époque, j’avais en effet exprimé mon inquiétude devant le risque que faisait courir à un monument comme le château de Versailles un usage ultra-intensif où tous les visiteurs souhaitent découvrir les mêmes pièces emblématiques. La solution qui est proposée est donc plutôt habile car elle répond à un vrai besoin, celui de la sensibilisation des enfants à l’art et l’histoire et que l’on peut supposer que le château mettra en place un autre parcours que la visite habituelle pour permettre aux espaces les plus sollicités d’être entretenus. Il faut protéger ces bâtiments sur le long terme au détriment de la culture consommatrice.
Comment réagissez-vous aux inscriptions sur l’œuvre d’Anish Kapoor ? J’ai tout de suite fait savoir mon indignation devant ces inscriptions parfaitement nauséabondes et ces allusions racistes explicites sont scandaleuses. Personnellement j’aurais préféré qu’elles soient immédiatement effacées. Elles n’apportent évidemment rien à l’œuvre et vont continuer à faire parler d’elles alors que de tels actes isolés d’ultra méritent seulement le mépris. Il est dommage d’offrir cette vision de notre pays aux visiteurs étrangers
Revenons Rue de Valois, quel est selon vous le profil idéal d’un ministre de la culture ? Il n’y a pas de CV idéal, mais il vaut mieux bien connaître les dossiers, bien connaitre le monde culturel pour faire les bonnes nominations, et bien sûr il faut être passionné et avoir l’oreille du Président.
Seriez-vous intéressé par ce ministère ? Moi ? J’ai un parcours très développé dans la culture, mais pour être ministre il faut hanter les antichambres, ce qui n’est pas ma tasse de thé. Je trouve par ailleurs que les capacités d’action d’un ministre de la Culture sont de plus en plus limitées. Je suis ainsi critique sur la loi Création- Patrimoine et architecture mais je reconnais que ce n’est pas facile dans la crise actuelle des finances publiques de donner un souffle à la culture. Ce qui me passionne c’est l’action concrète. Aujourd’hui, mes mandats dans une ville superbe et au parlement m’en donnent la possibilité et je m’y consacre pleinement.
Propos recueillis par Jean-Christophe Castelain pour Le Journal des Arts