Versailles, la cité royale fait sa révolution – Le Point
Une guinguette et un skatepark nichés entre le château, la préfecture et la cour d’appel. Mais que se passe-t-il donc à Versailles ? Depuis quelques années, la cité royale n’en finit pas de bousculer son image de bastion conservateur. Un symbole parmi d’autres de cette métamorphose : la rénovation de l’ancienne poste, qui, depuis juillet 2024, accueille un food court, Sept Lieux, et des expositions tournées vers la jeunesse, comme « Game Story » qui, pendant six mois, a transformé l’austère bâtiment de l’avenue de Paris en salle d’arcade géante, attirant près de 46 000 visiteurs.
L’édifice pourrait aussi accueillir un mangaka au printemps prochain, en lien avec le festival d’Angoulême. À partir du 20 septembre, il hébergera la nouvelle médiathèque de l’Ancienne Poste-Heure joyeuse, qui regroupera les bibliothèques de l’Université ouverte, de l’Heure joyeuse et de l’Atelier numérique, avec, là aussi, un espace prévu pour les jeux vidéo.
Dans la chapelle de l’Espace Richaud, autre lieu d’exposition issu de la transformation de l’hôpital royal, le maire, François de Mazières (DVD), nous fait faire le tour des grands projets qu’il a menés depuis 2010 et qu’il a malicieusement inclus dans le programme de la Biennale d’architecture et de paysage, dont il est le commissaire général et dont la troisième édition est consacrée à « la ville vivante ». « L’articulation entre l’architecture et le paysage fait partie de notre histoire et, à ce titre, Versailles a un rôle très moderne », estime l’édile, qui vient de publier Pour une ville belle. 10 propositions pour une ville où il fait bon vivre (Éditions Eyrolles).
De grands noms de l’architecture
Depuis son premier mandat, l’ancien président de la Cité de l’architecture et du patrimoine cherche, comme il l’écrit, « à fuir l’ennui » d’une ville trop standardisée en transformant le patrimoine plutôt qu’en le détruisant, en couvrant la ville de végétal, en privilégiant les matériaux naturels (bois, brique, pierre) et en faisant appel à de grands noms de l’architecture. « En plaidant pour une ville tout simplement belle, François de Mazières renverse et provoque le discours habituel », écrit, dans la préface, l’architecte Christian de Portzamparc, qui a contribué à la longue requalification du quartier des Chantiers.
Entamée en 2008, celle-ci s’est achevée le 29 avril avec l’inauguration de la Biosphère, un bâtiment en forme de serre, signé Carl Fredrik Svenstedt. Inspiré des voûtes de l’orangerie du château, il résonne aussi avec La Canopée, le siège de Nature & Découvertes réalisé par un autre starchitecte, Patrick Bouchain. À l’intérieur pourtant, pas de boutique de luxe… mais un Basic-Fit et un Lidl. De quoi répondre aux besoins des passagers de la deuxième gare d’Île-de-France et des habitants de ce quartier, qui compte un quart de logements sociaux.
Mais l’installation de ces deux enseignes n’a pas été une mince affaire. Confronté à l’opposition des riverains, le leader du hard-discount a d’abord dû renoncer à s’implanter dans le quartier plus chic de Richaud. Quant au Basic-Fit, il devait initialement ouvrir dans un bâtiment situé près de la cour d’appel.
Halle gourmande et cité-jardin
« Alors qu’on avait signé le bail, le maire m’a appelé pour me dire qu’il fallait finalement céder le bâtiment au tribunal, confie le promoteur Maurice Ruimy. Il m’a alors proposé le quartier des Chantiers. Je n’ai eu le choix ni du prix ni de l’architecte. Mais, au final, tout s’est très bien passé. » Si bien que l’investisseur porte à présent un nouveau projet dans le futur écoquartier Gally, en lisière de Saint-Cyr-l’École et de la ligne 13 du tramway.
Baptisé La Halle, il comportera une salle polyvalente, un espace de jeux pour enfants et, surtout, une halle gourmande d’une cinquantaine de stands réservés en priorité aux commerces locaux. Un projet de 10 millions d’euros qui ouvrira fin 2026 et dont Maurice Ruimy veut faire un laboratoire du commerce de demain, « celui qui a une histoire, une âme et qu’on ne peut atteindre par Internet ».
Son ambition s’accorde parfaitement à la vision du maire pour cet écoquartier qui « démontre une nouvelle fois qu’en matière d’urbanisme la créativité naît de contraintes ». Cette ancienne emprise militaire, abandonnée par l’armée en 2008, cumulait en effet les obstacles : vendus au prix fort (11 millions d’euros en 2011), situés loin du centre-ville sur un sol très pollué, les 20 hectares de terrain ne permettaient pas d’envisager la cité-jardin qui est en train de sortir de terre. Et pourtant, bien que le chantier soit encore loin d’être achevé, le bois et le végétal dominent déjà, laissant entrevoir un « démonstrateur de l’équilibre possible entre urbanisme et paysage », selon la formule de François de Mazières.
Conçu avec l’agence Lambert Lénack et le paysagiste Michel Desvigne, le quartier Gally comprendra, d’ici à 2028, 549 logements (dont 30 % sociaux) pour accueillir 20 000 nouveaux habitants. Les premiers devraient emménager, entre octobre et juin, dans les diverses maisons ou les petits collectifs, tous agrémentés d’espaces extérieurs privés et qui ne dépassent pas deux étages, proximité du château oblige. Prix moyen : 7 000 euros le mètre carré, un tarif intermédiaire entre Versailles et Saint-Cyr, selon le maître d’ouvrage, Icade.
Les constructions, qui bénéficient notamment du label « Bâtiment biosourcé », seront raccordées à la géothermie, complétée par une centrale biomasse et un apport en gaz naturel. Ainsi, 75 % d’énergies renouvelables alimenteront le quartier.
Nature omniprésente
Les constructeurs se sont engagés à fournir un vélo électrique par habitation. Les voitures seront reléguées en parking souterrain et une piste cyclable longera le quartier parallèlement à une grande promenade paysagère dominant le parc du château. Pas moins de 4 000 arbres ont été plantés dans le futur quartier, qui comptera 7,2 hectares de surfaces végétalisées. Tout au bout, 90 parcelles de jardins familiaux de 100 mètres carrés seront également proposées, en partenariat avec les Fermes de Gally. « L’idée, c’est que la nature soit omniprésente », souligne Nathalie d’Estiennes d’Orves, directrice des grands projets de la ville. Même l’école a été conçue comme une oasis, avec un potager intégré.
Pour le moment, seul l’hôtel-restaurant Le Bout du parc est ouvert. Outre les visiteurs du château, il attire déjà des Parisiens en quête de verdure. « On en voit de plus en plus qui viennent passer un week-end à Versailles », confirme Sophie Eber, directrice de l’office de tourisme, qui bénéficie depuis 2021 d’un bâtiment flambant neuf à la sortie de la gare Versailles-Rive gauche.
« Cet emplacement aurait pu servir à quelque chose de plus utile pour les habitants, comme une maison du vélo ou un terrain de basket pour les jeunes, regrette Moncef Elacheche, élu du groupe d’opposition Vivre Versailles-Écologie citoyenne. Ce genre de bâtiment paraît anachronique, dans un monde digitalisé. »
Pourtant, fin mai, le nombre de visiteurs avait grimpé de 75 % au comptoir du nouvel office de tourisme, qui permet à la ville de ne plus être dans l’ombre du château en attirant vers d’autres lieux, comme le Potager du roi, le musée Lambinet, la maison Berthe Morisot, à Bougival, et le musée de la Toile de Jouy, à Jouy-en-Josas, regroupés au sein de la nouvelle marque de destination mise en place à l’échelle de l’agglomération Versailles Grand Parc, Vous êtes bien inspirés. « On bénéficie d’un retour d’image depuis l’organisation des épreuves équestres des JO, observe Sophie Eber. On prend le contre-pied de Paris pour des séjours au vert près de la capitale. »
L’arrivée de la ligne 18
Pour François de Mazières, il manque encore un hôtel haut de gamme qui compléterait le Trianon Palace. Après quinze ans de bataille, le maire a obtenu l’engagement du ministère de la Défense pour récupérer, en 2029, le couvent des Récollets, qui héberge des services techniques de l’armée. « Une pépite de Jules Hardouin-Mansart malheureusement enlaidie par des verrues en béton qu’il faudra détruire », précise-t-il.
Les habitants, eux, ont d’autres priorités. Pour Jacques Merle, qui préside le conseil de quartier Vivre Versailles Chantiers, « le beau n’est pas le plus important ». À cinq ans de l’arrivée de la ligne 18 du Grand Paris, qui reliera Versailles à Orly, cet habitant redoute la thrombose, alors que plus de 35 000 voyageurs quotidiens sont attendus. « Nous travaillons en concertation avec la mairie pour que le quartier reste vivable, souligne-t-il. Mais il reste un gros point noir : le pont des Chantiers qui coupe le quartier en deux et provoque des vibrations dans les immeubles riverains à chaque passage de train. On ferraille avec la SNCF pour qu’elle le change. »
En avril 2024, Jacques Merle a aussi fait partie des signataires d’une pétition en ligne qui dénonçait « les violences répétées et de plus en plus inquiétantes » dans le quartier, et demandait à la mairie de réagir après une violente bagarre entre mineurs, dont l’un avait été gravement blessé. Le maire a tenu une réunion publique. « Un poste de police municipale a été installé en haut de la rue des Chantiers et, depuis, ça s’est calmé », approuve Jacques Merle. Ce qui n’empêche pas le Rassemblement national de dénoncer le sous-dimensionnement de la police municipale et de la vidéosurveillance.
« La lutte contre le narcotrafic est un angle mort complet », estime la conseillère municipale Anne Jacqmin, présente au second tour des législatives de 2024 – une première à Versailles –, à l’issue duquel elle a obtenu près de 25 % des voix. L’élue, qui prépare activement les municipales sans dire encore si elle sera tête de liste, a déjà préparé ses éléments de langage : « Versailles est devenu le symbole de l’immobilisme politique du centrisme. Il faut une municipalité de conviction qui résiste aux injonctions de l’État. » Pas de quoi affoler François de Mazières, réélu dès le premier tour depuis 2014.
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