À l’heure de la pandémie et du réchauffement climatique, quelle ville voulons-nous pour demain ?

Animé par Christophe Barbier, avec Gilles Clément (paysagiste), Michel Desvigne (paysagiste), Jean-Philippe Dugoin-Clément (maire de Mennecy, vice-président du Conseil Régional d’Ile-de-France et président de l’Etablissement Public Foncier d’Ile-de-France) et Christine Leconte (présidente de l’Ordre National des Architectes).

La pandémie et le dérèglement climatique nous obligent à repenser nos vies et nos villes. Un défi qu’architectes, paysagistes, élus, citoyens et aménageurs doivent relever ensemble.

François de Mazières : Bonjour à tous, merci beaucoup d’être venus à cette ouverture des débats.

Ce débat réunit des gens passionnants, il sera animé par Christophe Barbier, inutile de le présenter. À côté de lui, Christine Leconte, présidente de l’Ordre National des Architectes ; à ses côtés, Michel Desvigne, paysagiste, qui a œuvré dans de très nombreux endroits et sur de très grands projets ; à sa gauche, Gilles Clément, il n’est nul besoin de vous présenter non plus, nous savons à quel point votre apport est important, notamment avec votre célèbre jardin planétaire ; et pour finir, Jean-François Monteils, président de la Société du Grand Paris, société en charge du métro du Grand Paris.

Christophe c’est à toi, merci à vous tous d’être avec nous.

Christophe Barbier : Merci beaucoup François, je suis ravi de m’associer à cet évènement, à cette biennale qui tombe à point nommé dans la période que nous traversons, où il y a beaucoup d’interrogations sur la manière de vivre nos villes et puis de repenser ce rapport au vivant dans la ville. Je crois que nous allons avoir tout à l’heure, de la part de Michel, une présentation d’éléments, mais avant celle-ci, je vais vous demander de dire un mot sur le sens de cette biennale pour vous. En quoi une biennale de ce type peut, dans vos secteurs respectifs, faire avancer et faire accélérer les choses ?

Christine Leconte : Bonjour à tous. Une biennale de ce type nous permet de révéler les défis que nous avons à surmonter collectivement mais également à mettre en valeur les pratiques existantes, les pratiques pionnières en architecture, en paysage. Aujourd’hui, nous avons des défis à relever face à trois crises : la crise du climat, la crise de la biodiversité, la crise des ressources. Ces trois crises que l’on voit poindre, en plus de la crise géopolitique et des matériaux, nous requestionnent sur la manière dont on doit penser nos villes, tant dans l’étalement urbain, dans la manière dont on doit arrêter les démolitions et se repositionner sur la réparation de la ville, que dans la manière dont on doit adapter nos villes au changement climatique, autant de pratiques pour nous les architectes mais aussi pour les habitants à faire évoluer. C’est un véritable changement culturel. Cette biennale est là pour cette raison, elle nous interroge : « Que veut dire habiter ensemble ? ».

Michel Desvigne : je pense que c’est important de dire que c’est à Versailles. Versailles, pour nous, est une référence extraordinaire, c’est l’invention de la ville classique, c’est, de notre point de vue de paysagiste, que je partage avec Gilles, un lieu extraordinaire. Il y a un territoire géographique. Ce territoire a été transformé pour des raisons agricoles et des raisons de chasse. Il a été intériorisé dans le jardin par Le Nôtre, et littéralement le dessin de ce jardin a servi de matrice à la constitution de la ville. On ne peut pas trouver, dans le monde du XVIIe siècle, une meilleure articulation entre la fabrication d’une ville et la compréhension de son territoire et de son paysage. Le jardin étant le lieu de médiation entre le grand territoire et la ville. On rêve de cela, on le retrouve dans l’Histoire avec les systèmes de parcs que j’évoquerai furtivement plus tard. Je trouve donc très intéressant que cette biennale se tienne là, dans cet exemple historique-clé, parce que c’est aussi son objet de montrer l’articulation entre le territoire, le paysage et la ville.

Christophe Barbier : Et un projet politique derrière, qui assure le rayonnement du pouvoir à travers cette articulation. On y reviendra sûrement. Gilles, c’est à vous.

Gilles Clément : Oui, je reviens sur ce qui a été dit, c’est intéressant de porter un message à tout le monde sur la nécessité que nous avons de changer de mode de vie, par toutes sortes de biais, de moyens. Cela peut passer par l’architecture, peut-être même que l’architecte, par la façon dont il s’y prend pour faire un habitat, conditionnerait ceux qui habitent dedans pour changer de mode de vie. C’est possible de passer par là. Mais il y a aussi d’autres manières de faire. C’est effectivement un changement de modèle culturel dont il est question, que tout le monde peut aborder, c’est cela qui est important dans une biennale comme celle-ci.

Christophe Barbier : Enfin, Jean-François, l’homme de l’articulation de tout cela, dans un horizon maintenant qui est de dix ans, de vingt ans ?

Jean-François Monteils : Pour la construction et la mise en service, probablement dans les dix années qui viennent, pour l’impact, peut-être le siècle qui vient, si l’on en juge par ce qu’a produit le précédent métro, dont on pourrait dire que l’effet a duré un siècle. Mais pour répondre à votre question, qu’est-ce qu’on attend de cette biennale, je dirais d’abord qu’elle a un titre : « Terre et villes », et si je devais le dire d’une manière un peu simpliste, la Société du Grand Paris va creuser dans la terre pour faire la ville. Si l’on étale l’ensemble des terres que nous allons excaver, et qu’on les répand sur le territoire de la ville de Paris, celle-ci va monter de 20 cm.

Christophe Barbier : On sera donc à l’abri de la montée des eaux grâce à vous ?

Jean-François Monteils : Cela sera un premier effet bénéfique mais je ne sais pas s’il sera apprécié de manière uniforme, mais au-delà de cet aspect, nous proposons une infrastructure, avec notamment des gares autour desquelles se construisent des quartiers qui vont très probablement faire une grande partie de la métropole de demain. Donc ce que nous attendons de cette biennale, c’est apprendre et échanger, les expériences et les compréhensions, car la Société du Grand Paris doit au mieux anticiper les impacts de ce que nous faisons.

Christophe Barbier : Merci. Il y a déjà beaucoup de pistes de questionnements dans ce qui a été amorcé, Michel je vous laisse lancer la réflexion par une présentation.

Michel Desvigne : Alors, dans quelle ville voulons-nous vivre ? Quand j’ai eu le Grand Prix de l’urbanisme, beaucoup de gens me demandaient quel était mon modèle de ville. Je répondais qu’il n’y a pas d’utopie. Je voudrais vous parler de l’idée de la ville transformée. C’est le sujet-clé. Comment transforme-t-on nos villes ? À partir d’études de cas, pour ne pas que cela soit confus, je vais vous présenter ce qui est exposé dans le quartier de Gally, à l’ouest du Parc du Château de Versailles. Cette exposition présente trois bassins miniers et une lisière de quartiers à Saclay. Il y a longtemps que ces territoires miniers et industriels sont en friche, une quarantaine d’années pour beaucoup d’entre eux. Des travaux multiples ont été faits et beaucoup de paysagistes, formés à l’École de Versailles ont déjà agi sur ces friches. Simplement, aujourd’hui, il y a un point de vue plus large. Désormais on est de plus en plus souvent amené à proposer des visions à larges échelles sur des territoires, ce qui est nouveau dans la commande publique, peut-être, dans les visions qu’on s’autorise à avoir. Il se trouve que ces friches qui ont été transformées donnant lieu à la constitution de grandes charpentes qui vont aider à développer ces régions. C’est assez troublant, d’ailleurs, de penser que c’est aujourd’hui que cela se produit. Le phénomène est bien connu, Gilles Clément a contribué à parler des friches depuis très longtemps, à montrer leur valeur, mais c’est aujourd’hui qu’on les met en réseau et qu’on pense que cela peut être la structure de grands territoires. Donc c’est plutôt réjouissant.

Tout d’abord, je vais parler du bassin minier de Lens sur lequel des travaux ont été menés depuis quarante ans. Quand on va aujourd’hui à Lens, au-delà de ses terrils protégés et classés à l’Unesco, à proximité du stade Bollaert, on voit qu’une végétation s’est installée, très présente dans le paysage. Ces friches sont d’ores et déjà des lieux en partie transformés par l’homme, avec une très abondante végétation que l’on n’attend pas. C’est une région qui était agricole, industrielle, bien sûr, avec 650 000 habitants tout de même, donc ce sont des aires urbaines importantes, d’où l’intérêt de leur transformation.

Avec Christian de Portzamparc, à une échelle relativement limitée (le centre de Lens étant le Louvre-Lens, avec 400 000 habitants) on a imaginé une structure paysagère, un petit système de parcs, qui utilise justement des friches et les liens qui existaient entre les exploitations minières, qu’on appelle des cavaliers. Ces liens vont devenir pratiquement la nouvelle viabilisation, le nouveau mode de gestion de l’eau de ce territoire. Par exemple, dès la première année, on a organisé cinq kilomètres de chemins, de plantations, de fossés, qui d’ailleurs desservent le Louvre-Lens. Des parkings transformés également. L’intervention est assez limitée mais c’est tout de même 5 Km et 5 000 arbres. Cela a permis d’inverser complètement la façon de regarder ce territoire : ce qui était les arrières des quartiers est devenu le devant, par exemple l’accès principal au Louvre Lens, est un cheminement, un lieu de reconquête du territoire. Ainsi, comment profiter de ces liens pour redensifier ces quartiers eux-mêmes classés à l’Unesco.

Christian de Portzamparc et moi-même nous sommes rendus compte finalement que dans l’entièreté de ce bassin minier, beaucoup de lieux avaient été transformés. On a fait la pari de regrouper un certain nombre de ces lieux, pour avoir à la fin, c’est la géographie qui l’a décidé, une quinzaine de parcs de 300 hectares, de telle sorte qu’aujourd’hui dans ce bassin minier, il existe 4200 hectares de « nature », reliés par des cheminements, des voies d’eau. Et évidemment c’est complètement différent de transformer une telle région avec cet héritage-là. Si beaucoup de travaux avaient été faits, il n’existait pas cette vision large. Une centaine d’élus ont adhéré à ce projet. Il ne s’agit pas d’aménager des parcs, ils existaient, il s’agit de mettre en commun une intelligence pour leur gestion, leur maintenance, leurs usages, et en faire des parcs les plus naturalistes possibles. C’est une recomposition absolument heureuse d’un territoire.

Deuxième cas que je vous présente, à la frontière du Luxembourg, un établissement a été créé parce qu’il y a plus de 100 000 personnes qui transitent tous les jours pour aller travailler au Luxembourg. L’idée est de rendre ce territoire anciennement minier et actuellement abandonné, attractif pour que cette population s’installe. On a jugé qu’il était nécessaire de créer un établissement public, c’est le 12è en France. C’est Jacques Sgard, un paysagiste bien connu, qui avait déjà transformé des friches devenues des forêts. Tous les territoires industriels avaient des liens. Ce que nous proposons là, c’est autour de ces zones développables, d’avoir, par exemple, une grande zone humide qui va permettre de gérer les eaux de cette région et aussi de fabriquer un paysage.

Troisième exemple : la ville de Liège nous a demandé une réflexion similaire. Là aussi, vous avez des terrils abandonnés avec une certaine présence végétale. En fait, la ville tourne le dos à ces vestiges industriels, on ne va pas dans ces friches, on ne peut pas y accéder, elles sont pratiquement redoutées. L’hypothèse c’est de se dire que là aussi redensifier les constructions autour de ces parcs est une opportunité extraordinaire. C’est une sorte de constellation de parcs, que l’on met en système, que l’on met en réseau, pour créer également une ville en réseau. C’est encore une fois un processus de transformation.

Les systèmes de parcs qui utilisent les vestiges industriels nous permettent d’éviter un étalement banal : il ne s’agit plus de faire des lotissements mais de redensifier la ville autour d’un système de parcs hérité.

À présent, sur Saclay. Dans la zone constructible, étant bien entendu que les terres agricoles sont protégées par une loi du Grand Paris, l’urbaniste Xaveer De Geyter en l’occurrence, a tout fait pour plus de densité, de façon à préserver une partie de la zone constructible en dégageant une sorte de lisière, une grande continuité de paysages, qui fait justement cette transition entre les campus et les zones agricoles. C’est un prototype qui s’étend sur sept kilomètres. Le linéaire de ces limites pour le Grand Paris c’est 200 kilomètres, je crois, ce qui est considérable.

Aujourd’hui, contrairement au XIXe siècle, on ne s’autorise pas, on ne se donne pas les moyens de faire un parc. En revanche, il y a des besoins de gérer les eaux de pluie, les eaux grises, de compenser écologiquement les constructions, de stocker des matériaux et de constituer de la terre fertile, et puis des besoins pour les écoles d’agronomie et d’horticulture, pour l’INRAE, d’avoir des terres expérimentales. On utilise alors ces besoins, ces nécessités par une sorte d’ingénierie écologique au service de la ville, pour fabriquer l’espace public manquant. Au fond, au XXe siècle, notre ville diffuse, n’a pas construit les espaces publics à sa dimension. Sur Saclay, nous avons également un parc composite, à proximité de Polytechnique, 3 km de bassins, de zones humides, de corridors, autour duquels nous avons pu fabriquer un parc. On utilise des zones qui sont parfois techniques voire closes, pour en faire un parc continu de plusieurs kilomètres. Il est très difficile de faire foisonner la gestion de l’eau et les zones de compensation écologique en France. On a réussi à le faire, ici, à mettre en réseau des institutions qui parfois s’ignorent. Dans un autre endroit à l’est, parce qu’on est plus en lien avec l’agriculture, on est dans les terres expérimentales de l’INRAE, ce sont des sortes de casiers qui stockent l’eau et qui servent d’ailleurs de lieux de recherche pour l’université.

Ainsi, avec Saclay, nous travaillons sur un très grand sujet de société. Notre ville diffuse existe, on doit faire avec, et tout ceci est un mode de transformation assez extraordinaire. J’ai bon espoir que l’on puisse diffuser justement.

Christophe Barbier : Merci beaucoup. Quelle est la fonctionnalité de ces réseaux de parcs ? S’agit-il au fond d’amener les populations à circuler dans un espace urbain sans aucune frontière ou au contraire de poser des barrières pour que les activités et la densification de la ville ne viennent pas tout dévorer ?

Michel Desvigne : Alors, le premier élément de votre question c’est, qu’en effet, il s’agit d’offrir à cette population, qui n’avait même pas le droit d’aller sur les terrils, des lieux pour exister. Aujourd’hui par exemple, on voit des personnes âgées, qui travaillaient dans ces mines, faire des randonnées en groupes dans des chemins, au bas de ces terrils devenus parcs, alors que c’était des lieux pratiquement interdits, vécus comme un héritage douloureux. Depuis, il y a une inversion du regard et des pratiques puisqu’il y a 4000 hectares disponibles pour se promener, avec d’immenses continuités, sur des dizaines de kilomètres de cheminements, que l’on peut trouver derrière chez soi, jadis là où on n’allait pas. Mais il ne s’agit surtout pas de faire des barrières, au contraire, on attire. Notre démarche peut être comparée aux Américains à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, où les systèmes de parcs ont été un mode de viabilisation. Nous faisons en sorte que les habitants se développent et vivent avec et dans un héritage complètement heureux, ce qui n’était pas le cas il y a quarante ans.

Christophe Barbier : Gilles, les friches industrielles et minières sont-elles une bénédiction en tant que réservoirs fonciers et possibilités paysagères nombreuses ? Est-ce quand même un boulet puisque cela traîne une mémoire dont on n’arrivera pas à débarrasser la population avant longtemps ? ou bien est-ce un terrain purement expérimental ?

Gilles Clément : C’est un terrain expérimental de toutes les façons puisqu’on est avec un substrat singulier par rapport à ce qu’il se passe à côté, où la flore est habituée à un sol souvent riche. On voit arriver sur les terrils depuis qu’ils sont abandonnés, énormément d’espèces extrêmement frugales qui parviennent à vivre. Avec le changement de température, on arrive même à trouver des plantes qui sont plus associées à un climat méditerranéen plutôt qu’au climat de Lens ou d’autres régions du Nord, et puis, on y trouve aussi des arbres pionniers qui parviennent à s’infiltrer, par exemple, les bouleaux. Cela peut créer petit à petit un nouveau sol, d’abord inerte puis qui s’enrichit par l’apport de la décomposition des matières organiques. De toutes les façons, ces territoires vont être en mutation permanente pendant des décennies.

Christophe Barbier : Et que devient la mémoire du site ? Dans l’est de la France on recouvre les champs de bataille d’arbres pour oublier les tranchées de 14-18, ces actions peuvent s’expliquer et se comprendre, mais que l’on fasse disparaître une mémoire industrielle qui a été la fierté de cette population, est-ce que c’est un problème pour l’intervenant ?

Michel Desvigne : Il n’y a pas de malentendu. Tu as raison Gilles, c’est une écologie très spécifique : les terrils sont protégés, sont classés. D’ailleurs on n’y touche pas, bien entendu, c’est au pied de ces terrils que se développe une forêt avec des espèces pionnières, mais par rapport à la mémoire humaine, à la mémoire industrielle, il y a bien sûr conservation, c’est un équilibre entre la présence de cette nature et la conservation de la mémoire qui est à l’œuvre.

Christophe Barbier : La friche, c’est le même mot pour un champ en friche ou pour un territoire industriel…

Gilles Clément : C’est un mot qui nous vient du nord de la Belgique mais dans d’autres pays cela s’appelle différemment : un baldío en Espagne. C’est juste un terrain abandonné, un terrain vague. Friche a le sens de terrain récemment abandonné, sur lequel arrivent des espèces dont on ne s’occupe pas vraiment. En cela la friche prépare une forêt, toujours, partout, sauf exception, quand, par exemple, le sol squelettique est tellement caillouteux et pauvre, alors là, peu d’arbres pousseront. Il y a un stade, en fait : entre cette espèce de prairie diversifiée et la forêt, qu’on appelle la « friche armée », c’est le moment où les épineux, les ronciers s’installent et au sein de ces épineux, commencent à pousser les ligneux, qui eux vont être protégés des prédateurs logiques, les lièvres ou les chevreuils qui viennent manger les écorces. Donc à ce stade, les épineux sont extrêmement précieux, et ensuite commence à apparaitre la forêt au bout de quinze ans et véritablement au bout de quarante ans. J’ai vu cette « inversion du paysage » dans la Creuse. On passe donc de la Lande à la forêt par la friche armée. La population animale sauvage s’installe et il y a énormément de sangliers en France aujourd’hui, ce n’est pas uniquement à cause des chasseurs, bien qu’ils soient les premiers fautifs, puisque ce sont eux qui ont fait des « sanglichons » ou des « cochongliers ». Désormais ces animaux hybrides font des portées de 12 au lieu de 6. Les chasseurs font des pré-battues. Tous ces animaux parviennent à se développer très facilement dans des couloirs qui sont les zones en pente.

Christophe Barbier : Donc deux raisons, la reconquête forestière et le jeu. Christine, je vais en profiter pour montrer votre livre Réparons la ville. Quand on est sur ce genre de travaux, est-on exactement dans ce que vous appelez « réparer la ville » ?

Christine Leconte : C’est un bon support pour dézoomer. La première chose, c’est qu’on doit abandonner aujourd’hui un certain nombre de préceptes qu’on a eu au XXe siècle. On a gaspillé beaucoup de territoires on a étalé les villes, on a trop utilisé de matières premières, énormément de sable pour le béton, nous sommes à la limite planétaire de certains métaux, de certains matériaux. On arrive au XXIe siècle et on se rend compte, avec le réchauffement climatique, la pandémie, les problèmes géopolitiques actuels, qu’il va falloir penser nos villes autrement. Il faut abandonner un certain nombre de choses et requestionner la manière dont on considère l’existant. Considérer est un beau mot, c’est regarder, réparer, transmettre. La parenthèse enchantée du XXe siècle est finie. Je vous conseille de lire La Convivialité d’Ivan Illitch. C’est comme si au XXe siècle, nous avions oublié notre rapport au territoire car finalement on a construit nos villes pour l’automobile. Regardez les façades des lotissements, ce sont des parkings…  On a un peu oublié les parcs, on a fait des trottoirs et des routes, à tel point qu’un enfant, entre 1950 et 2020, a perdu quasiment 80% de sa possibilité de circuler seul. Même s’il y avait beaucoup de monde à loger, on a arrêté de penser la nature et l’humain ensemble.

Aujourd’hui, il est question de réappropriation du territoire, notamment par l’architecture de, en adoptant des circuits courts, en évitant d’aller chercher des matériaux à l’autre bout du monde. On le voit dans cette biennale, la terre du Grand Paris se transforme en briques de terre crue avec lesquelles on peut construire des bâtiments mieux adaptés au changement climatique.

Concrètement, au XXIe siècle, en termes d’urbanisme, nous devons ménager notre planète parce que c’est notre premier habitat. C’est notre plus grand défi à tous, architectes, paysagistes, constructeurs, promoteurs ou élus, quelle que soit notre profession ou notre fonction. L’être humain doit s’adapter parce qu’en 2100 c’est 74% de la population qui va se retrouver avec 20 jours de canicule mortelle par an. S’adapter à ces conditions va être compliqué.

Alors « quelle ville voulons-nous pour demain ? », la ville de demain est déjà là, aujourd’hui, à 80%. On va devoir s’adapter et trouver des systèmes. Et ce n’est pas la climatisation qui va nous sauver ! Cela peut être les réseaux de parcs, la relation à l’eau, l’utilisation de certains matériaux de meilleure nature dans la construction. L’urbanisme, architecture et paysage sont des solutions à ces défis, c’est là que la biennale révèle des choses.

Je reviens sur la culture. Il va falloir passer d’un urbanisme individuel à un urbanisme du partage. Là, le paysage, peut-être avant même l’architecture, le premier élément de partage. C’est là qu’il faut développer des choses qui vont nous rassembler. Il faut positionner la ville, finalement, comme la spatialisation de la démocratie. Il faut s’interroger « quelle société a-t-on envie, demain ? » On dit souvent « préserver la nature », moi je pense que c’est « la nature qui nous préserve ». Voilà pourquoi, aujourd’hui, il y a de fortes mutations dans les métiers de l’architecture et de l’urbanisme, parce qu’on a besoin de penser autrement. Quand on dit réparer la ville, tout est support de projet, le paysage et les bâtiments qui existent déjà. Donc halte à la démolition, partons de l’existant, réimaginons, réinventons, restructurons et nous trouverons des choses merveilleuses pour retrouver du lien entre les hommes.

Christophe Barbier : Merci beaucoup, on va revenir sur beaucoup de ses aspects. Jean-François, est-ce que cette notion de friche dans notre espace francilien est au cœur de ce que le Grand Paris aborde, avez-vous pensé le métro par rapport à la quantité d’espaces disponibles ?

Jean-François Monteils : Alors comme vous êtes un homme poli, vous m’interrogez sur ce plateau mais je dois dire que j’ai d’abord envie de continuer d’écouter.

Christophe Barbier : Vous êtes celui qui peut tout gâcher si vous travaillez mal.

Jean-François Monteils : C’est précisément pourquoi j’ai envie de continuer d’écouter et de vous dire que ma première réaction est que ce que j’entends est pour moi un formidable remède contre l’inquiétude que peut éprouver un maître d’ouvrage, François, Monsieur le maire de Versailles, connaît bien cela. Je suis confronté à beaucoup d’angoisses. On arrive en effet à chaque fois avec une promesse de changement qui est un point d’interrogation. Les habitants se demandent de quels changements il va s’agir. Et comme on est en France, si changement il y a, cela sera forcément quelque chose de mauvais qui va nous arriver…

Je trouve vraiment fascinant de constater qu’on peut toujours envisager les choses autrement. Sur les paysages de friches que vous évoquez, nous allons sur le terrain, sur le plateau de Saclay notamment, nous voyons, rencontrons, entendons des vraies interrogations qui doivent être évidemment écoutées et respectées. J’ai envie de dire, et là nous sommes presque dans un cadre académique donc je sors de mon devoir de réserve, il faut sortir de la pure dichotomie entre la construction et la protection. On évoquait tout à l’heure la zone de protection de la loi de 2010 qui concerne le Grand Paris, crée la Société du Grand Paris et crée en même temps cette grande zone de protection naturelle. Je pense qu’on aurait tort de se contenter de cette seule dichotomie et de considérer qu’il n’y a pas de continuité possible entre construction et protection, que l’un s’oppose à l’autre. De toute façon si l’on se contente de la pure protection et du statu quo, quelque chose va se passer. Donc donnons notre écoute et notre intelligence.

Deux mots sur vos questions : je ne parlerai pas de friche, je ne suis pas suffisamment savant là-dessus, mais dans le dessin initial du Grand Paris, celui de la loi de 2010, et ce qui a suivi en 2011 et au-delà, il y a d’abord cette volonté d’anticipation sur une échelle large. Ce projet a une vision globale de tout un territoire immense et très diversifié avec un réseau circulaire. C’est une rupture séculaire, qu’on rencontre dans très peu d’endroits dans le monde, même si je pense que cela va se disséminer. Ces nouvelles possibilités amènent la Société du Grand Paris à travailler sur des zones hyperdenses, dans l’ouest et l’est parisien ou sur des zones beaucoup moins denses au nord et au sud, où les problématiques et les angoisses sont évidemment fort différentes.

La SGP lance en ce moment un appel à manifestation d’intérêts pour essayer de travailler avec le monde de l’architecture sur la qualité de ce que nous faisons. Dans notre culture, l’anticipation de ce qui peut advenir, de notre impact est une des choses les plus importantes pour notre avenir.

Christophe Barbier : Merci beaucoup. Gilles, j’aimerais revenir sur les problèmes de biodiversité. Dans un contexte où les métropoles attirent, de plus en plus, des néo-citadins, mais aussi dans une rupture du déséquilibre entre Paris et le reste de la France, est-ce que la biodiversité peut être grande gagnante ou, au contraire, est-ce qu’elle va devoir assumer d’autres chocs parce qu’on va dévégétaliser pur inventer des modes de transport ultra-rapides entre les métropoles, par exemple ?

Gilles Clément : Je pense qu’elle va en pâtir énormément…

Christophe Barbier : Qu’est-ce qui fâche, qu’est-ce qui blesse ?

Gilles Clément : Toute la diversité, quelle qu’elle soit, est d’accord pour vivre avec nous, si nous sommes d’accord pour vivre avec elle. Déjà il y a une vision culturelle : est-ce qu’on accepte ou pas d’avoir un insecte qui arrive sur notre main ? Est-ce qu’il faut applaudir tous les insectes en les tuant ? Peut-être qu’on ne les verra même plus parce que de toute façon leurs habitats auront disparu en raison de l’imperméabilisation ou parce que les écosystèmes seront morts. Quand on met un produit pour supprimer une mauvaise herbe, c’est dramatique parce qu’on ne supprime pas seulement une herbe, on supprime aussi un écosystème, c’est-à-dire l’animal qui mange l’herbe, l’oiseau qui mange l’animal qui mange l’herbe, etc. Les champignons aussi, tout disparaît. J’ai expérimenté cela une fois dans ma vie, et j’ai vu, j’ai arrêté tout de suite. Donc tout dépend de la façon de s’en occuper. N’oubliez pas que dans la ville, on fait du miel-béton : au nord de Saint-Denis, en zones sensibles, Olivier Darné fait du miel avec des abeilles qui vont absolument partout car dans le tissu urbain, on ne met pas de produits qui tuent.

Christophe Barbier : Vous voulez dire que la ville peut parfois devenir plus hospitalière qu’une zone agricole ?

Gilles Clément : Ah pour ce qui est du miel, oui ! Pour ce qui est des abeilles, c’est évident. Il y a des endroits un tout petit peu protégés en Ile-de-France et autour, mais vraiment très peu, c’est ridicule par rapport à ce qu’on a connu il y a encore quelques années. Donc c’est un vrai et grave problème.

Alors je vais fâcher certainement quelques personnes, mais non les terres agricoles ne sont pas protégées sur les plus riches et les plus belles d’Ile-de-France, notamment sur le plateau de Saclay. J’avais fait une étude pour la revalorisation des sols, sols morts, sols stérilisés, avec seulement une plante, le maïs. Beaucoup de sols sont comme cela, jusqu’à la fin, jusqu’à la récolte, il n’y a plus rien, tout est traité. Nous avons travaillé sur la manière d’offrir la possibilité aux propriétaires terriens, aux gros exploitants d’être protégés de l’urbanisme, de passer d’un sol stérile à de la culture en bio ? C’est un enjeu et une solution est tout à fait possible. Le projet avait été fait avec l’Agence des espaces verts sur une parcelle de 17 hectares, pas loin de Polytechnique, un très beau terrain, où une exploitante agricole était d’accord pour faire le projet avec 16 formules en cultivant des céréales, des plantes, mais aussi des broyats, des BRF (Bois Raméal Fragmenté), des couvertures, en mélangeant tout. Il fallait trouver la meilleure, la plus rapide, pour remettre la vie dans le sol, cela pour donner la formule aux autres exploitants agricoles.

Christophe Barbier : Et la réponse, varie-t-elle d’un terroir à l’autre ?

Gilles Clément : Il n’y a pas eu la réponse parce qu’il n’y a pas eu l’expérimentatio, parce que c’est tombé à l’eau, parce que c’est un territoire qui est sous une spéculation foncière… C’est dommage, c’est très triste mais cela fait partie des choses que l’on observe absolument tout le temps. Donc l’assistance devrait être vraiment donnée à tous, à tous ceux qui passent en bio et surtout à tous ceux dont la culture ne tue pas, pas simplement les exploitants mais aussi les consommateurs.

Je m’arrête là car il y aurait encore beaucoup à dire sur l’Ile-de-France… Je voudrais maintenant vous parler de l’ouvrage des Carnets du paysage de l’École de Versailles, publié à l’occasion de la Bap !, avec des articles écrits par des auteurs invités. L’article de Sébastien Marot aborde le sujet que vous abordez aujourd’hui. Il s’appuie sur la théorie de David Holmgren inventeur de la permaculture. Il y a 4 scénarios envisagés, lisez, cela vaut vraiment le coup : le premier, avec un réchauffement climatique très fort et une diminution d’accès aux énergies ; un autre où le réchauffement climatique est plus faible mais on a encore un accès aux énergies ; un autre encore où le réchauffement est immédiat, sans plus aucune énergie, etc. Je trouve que c’est extrêmement utile parce que cela donne, pour le coup, des tissus urbains qui sont tous différents et un mélange entre les productions vivrières et l’urbanisme lui-même. Plusieurs formules avec de très beaux dessins, des rêves, des caricatures, des visions très fortes. Pour moi, le scénario le plus modeste est le plus intéressant, en fait. Je les ai rebaptisés : Brown tech pour l’auteur, c’est un pic d’énergie fossile qui disparait lentement qui nous permet de continuer  sans changer de système d’exploitation. Pour moi, c’est une illusion. Prenons garde à l’illusion de la maîtrise : on pense que grâce à la technologie et à notre grosseur de cerveau, peut-être, on arrive à faire tout ce que l’on veut et tout ce qu’il faut…

Christophe Barbier : Ne croyez-vous pas à une invention de rupture qui permettrait que ce scénario soit viable ?

Gilles Clément : Je pense que toute la confiance qui est mise dans la technologie, va au détriment de la connaissance de notre propre génie naturel, parce que nous l’avons abandonné. Nous sommes des animaux ! Mais comment peut-on faire pour percevoir ce qu’il y a là-bas à l’autre bout de la salle, par le nez ? On ne sait pas, mais on le savait. Il y a des modes de communication que nous avons perdus, que nous n’exerçons plus. Heureusement on en a encore quelques-uns, on a encore une sensibilité. Contrairement à tous les animaux, on ne fait pas confiance à ce que dit notre corps, car on a développé un cerveau très gros. On utilise 1/8è de notre cerveau, on vient d’arriver sur terre et nous sommes fascinés par notre génie artificiel, par la technologie, on fait de l’Elon Musk tout le temps… Alors on veut aller sur Mars, mais est-ce que pour cela il faut tuer les endroits où l’on vit ? Ce n’est pas sûr. On pourrait essayer de vivre quand même. Green tech, c’est la transition : big fossile lent et changement climatique lent aussi. On a confiance en la lenteur… pourquoi pas… Troisième scénario, big fossile rapide et changement climatique lent. C’est la migration vers les campagnes, phénomène intéressant qu’on est en train d’observer en ce moment. J’habite la Creuse, un pays perdu. Toutes les maisons qui étaient à vendre depuis des années, sont toutes vendues, avec des petits bouts de terrain. Les gens sont contents.

Christophe Barbier : des déplacements de population pour s’adapter à cette évolution, cela peut marcher au niveau planétaire ce genre de migration lente, si ce scénario est bon ?

Gilles Clément : Live Boat, c’est la situation de sauvetage, c’est le cas ou nous sommes allés trop loin et on va où il est possible de vivre : Big fossile rapide et changement climatique rapide. Pour moi, cela a à voir avec l’opportunisme biologique, c’est-à-dire que, quand on ne sait pas faire autrement, on va là où il est possible de vivre, on bouge, on est obligé. Toutes les migrations, aujourd’hui, répondent à ce modèle-là, à cause de guerres ou du changement climatique. On doit accepter toutes ces modifications géographiques parce que les êtres vivants bougent.

Christophe Barbier : Nécessité fait loi.

Gilles Clément : oui, car c’est biologique.

Christophe Barbier : Sur une partie des signes d’alerte de Gilles, que répond l’architecte ? Les nouveaux matériaux ou futurs matériaux à notre disposition vont-ils répondre aux pics des énergies fossiles et aux problèmes énergétiques ? Est-ce qu’on peut répondre par l’architecture à des migrations de populations assez rapides, du type, tous dans la Creuse pour retaper des vieilles maisons ? Ou bien est-ce que la boîte à outils de l’architecte n’arrivera pas à suivre ?

Christine Leconte : L’architecte n’est pas Superman mais il y a une possibilité d’essayer, je n’ai pas envie qu’on abandonne. Nos métiers fondamentalement reposent sur l’espérance et sur l’espérance collective. On peut agir mais on ne peut pas agir seul. On ne peut pas changer les pratiques en étant seul. Arrêter de spéculer sur les produits immobiliers, on ne peut pas le faire seul. Arrêter de spéculer sur les terres agricoles, on ne peut pas le faire seul. C’est forcément un changement de paradigme, global. J’interviens dans ce débat en tant que présidente de l’Ordre national des architectes, nous venons de sortir un plaidoyer et on plaide pour ce que dites, Gilles Clément, pour l’habitabilité de la terre, pour essayer de mettre nos maigres moyens à disposition de ceux qui nous aident. On ne pourra tout faire, mais aujourd’hui, on est très loin d’y arriver, malgré la présence et l’action de pionniers. Pionnier, c’est quand on essaie de trouver sa place, quand on essaie de contourner, dézoomer et se positionner autrement, c’est une recherche de bon sens que l’on a énormément perdu.

Un exemple, pendant la pandémie il y avait ces petits systèmes pour calculer le dioxyde de carbone donnés dans toutes les écoles pour éviter que les enfants et les professeurs attrapent la COVID-19. Des écoles criaient au scandale, disant qu’elles n’en avaient pas. Si les systèmes sonnaient, il fallait ouvrir les fenêtres et puis si vous n’aviez pas de systèmes, il fallait aussi ouvrir les fenêtres. Finalement, on a juste oublié qu’une pièce, ça s’aère… Il faut que le système collectif retrouve le bon sens, l’intelligence, la relation à notre habitat. On habite dans nos pays occidentaux d’une manière totalement différente d’ailleurs.

Je parlais récemment avec le philosophe, Philippe Simay, qui me faisait remarquer que l’on considère tout comme de la ressource.  En fait, concernant les ressources, nous sommes en fait prédateurs. On a beaucoup de ressources et beaucoup de déchets. Regardez la loi « Climat et résilience », elle dit que si nous détruisons un bâtiment, nous devons faire un « diagnostic déchets ». Mais aujourd’hui, il faut faire un diagnostic ressources ! Puisqu’on va déconstruire ou démolir, ce qui n’est déjà pas une solution positive, c’est même l’inverse d’une priorité, comment alors est-ce que ce que nous possédons peut devenir ressources pour fabriquer ? On me dit : « La présidente de l’Ordre ne veut plus construire ». Je veux construire différemment. Construire, cela peut se faire différemment. Réhabiliter, réparer, c’est construire. Il y a quelques années, je réparais mon vélo, je remettais la chaîne, j’étais la plus fière des enfants. Je réparais la 2CV de mon frère, j’étais la plus fière. Je vous demande, aujourd’hui quel mécanicien répare, sans ses électrodes, une voiture ? L’habitat, c’est un peu pareil. On a oublié les choses les plus primaires. Ce qui est intéressant avec les matériaux locaux, avec le matériau terre, qui compose quand même 15% de notre patrimoine français, il ne faut pas l’oublier !, nous revenons à l’essence même de la matière. Il nous faut désapprendre à être dans ce système complètement cloisonné de ce qu’on avait avant. Donc on réapprend à être un humain sur Terre.

Gilles Clément : Ce que vous dites là rejoint ce que disent les étudiants d’AgroParisTech.

Christophe Barbier : Même si c’est vrai qu’il a fallu loger, nourrir des gens dans une croissance démographique très forte et que les choix que l’on a fait il y a cinquante ans n’étaient pas forcément cyniques mais des choix de réponses urgentes, comme vous l’avez dit, Michel, est-ce que l’avenir ne va pas devenir une sorte de marqueterie très fine, un maillage absolu, où l’on voudra que les lieux de travail, les lieux de vie, les paysages, la nature, soient totalement imbriqués, pour que l’on n’ait pas l’impression de se déplacer de l’un à l’autre ?

Michel Desvigne : Je vais vous répondre mais je voudrais d’abord dire autre chose. En fait, je me rends compte qu’on était trois voisins. À Saclay, Gilles a eu un projet d’agroforesterie (au nord de la lisière), Jean-François a un projet considérable de métro et j’ai un projet de paysage et d’urbanisme, qui accompagne ces très grands travaux avec cette frange, cette lisière, que je vous ai décrit tout à l’heure. La situation est intéressante parce que ceci n’était pas un projet. Dans la loi du Grand Paris qui a donné une limite aux terres agricoles, tout le reste était constructible. L’idée qu’il y ait ce territoire de transition, expérimental, n’existait pas et il a fallu convaincre des élus. D’ailleurs, certains de ces élus, on peut le dire maintenant puisqu’ils ne le sont plus, s’opposaient à cette idée de lisière. Ce n’était pas un projet politiquement acquis. Il faut toujours convaincre. J’ai eu des conversations nombreuses avec le directeur de l’INRAE et avec le directeur d’AgroParisTech, en disant : « Voilà le lieu expérimental où enfin on va pouvoir montrer et essayer à une dimension correcte, 7 km, une agronomie de transition dont on sait bien qu’elle est une urgence ». On a eu, et on a toujours d’immenses difficultés. En gros, cela n’intéresse personne, pas même les journalistes, qui n’évoquent pas ces complexités de transformation des territoires. On a beaucoup de peine à les attirer, ils s’intéressent en réalité à des gadgets, par exemple, à l’agriculture sur une petite toiture qui est intéressante, mais cette complexité, cette urgence, n’a rien de drôle à regarder…

Donc oui, il s’agit d’être constructifs et même d’avoir une fierté. Je prétends, avec les bassins miniers, que l’on atteint une échelle qui a une certaine grandeur. On a envie de construire, de développer. On s’interroge :  » Comment offrir aux gens qui vont vivre là, comment leur offrir une ville dont on est fier, dont on est heureux ? » Il ne s’agit pas de construire un refuge, mais de construire un rapport plus intelligent au vivant, à une échelle qui est la nôtre.

Au fond, qu’est-ce qu’on va raconter aux Ukrainiens ? Ma mère est Ukrainienne, je peux me permettre de le dire. Comment vont-ils reconstruire ? Comment avons-nous reconstruit nos villes, nous, après la guerre ? Comment a-t-on fait nos villes nouvelles ? On n’en n’est plus là, on est beaucoup plus loin, grâce à des personnes comme toi, Gilles. Mais c’est intéressant, cette histoire de Saclay : tout le monde s’en fout ou pense que c’est suspect. Avoir un campus universitaire n’intéressait personne, c’était la « patate chaude ». Personne n’a voulu politiquement porter ce projet. Le métro n’a pas tout détruit, on coexiste. Mais tout cela, ce sont des vrais projets politiques, je regarde François, qui est l’auteur de cette biennale. Le projet de lisière est un vrai projet de politique, à son échelle, juste.

Ce que je redoute parfois, Gilles, c’est une esthétisation de peu de moyens. On se moque de beaucoup d’élus, sauf de François, qui se sont beaucoup livrés, en ville, à ces préfigurations, avec le container et la palette. Il y a un côté de kermesse permanente partout, qui se substituerait au désir de construire à l’échelle juste. J’avoue que ça ne me plaît pas. Moi j’accepte de mettre les mains dans le cambouis, j’ai construit dans vingt-six pays. En Russie beaucoup, de très beaux projets. J’aimerais que l’on s’intéresse à ces sujets majeurs avec une certaine santé.

Christophe Barbier : C’est une série de contre-poids qu’il faut mettre en place ?

Michel Devignes : La fierté, la santé n’est pas forcément le cynisme. C’est vrai qu’il y a des périodes cyniques, des populations cyniques, des projets immondes, on est bien d’accord.

Christophe Barbier : Parfois pour répondre à la nécessité d’une reconstruction urgente, d’une démographie galopante ?

Michel Devignes : non

Christophe Barbier : Il n’y a pas d’alibi.

Michel Devignes : Je ne sais pas. Cet exemple de lisière, personne n’en voulait, on l’a fait malgré tout le monde. Il a fallu se battre avec un ancien ministre de la Ville pour faire accepter cette idée-là. C’est-à-dire qu’on ne construirait pas tout, qu’il n’y aurait pas de continuité urbaine comme cela était annoncé, sous forme de lotissements permanents, qu’on se laisserait certaine surface libre pour fabriquer ce lieu intermédiaire. Sur Saclay, on n’a pas réussi à motiver AgroParisTech comme on l’a voulu et je n’ai jamais pu attirer quelqu’un de l’École du paysage de Versailles dans cet endroit-là. Cela intéresse peu de gens. Mais personnellement je continue, on y croit. On a besoin de l’intelligence de Gilles pour faire fonctionner cela, et de vos moyens, Jean-François, pour que tout cela existe !

Christophe Barbier : Justement, Jean-François, quelle réponse votre projet peut-il apporter à ces espoirs de développement de nouvelles villes, avec ces projets de lisières, de manière plus équilibrée avec le fameux lotissement et l’étalement perpétuel ?

Jean-François Monteils : Déjà je suis très content que vous fassiez appel à mes moyens plutôt qu’à mon intelligence, cela me rassure et je pense que c’est de nature à rassurer tout le monde. D’autant que des moyens j’en ai pas mal… Je n’ai pas de meilleure réponse que celle de l’anticipation. J’en aurais peut-être une supplémentaire mais pas meilleure. J’ai vraiment le sentiment que notre débat est un débat politique qui consiste à dire : comment est-ce qu’on fait pour installer ou réinstaller les conditions d’un débat démocratique sur les questions de fond ? Ce que j’entends, c’est que malgré tout cela a marché. Peut-être qu’on tâtonne,mais au moins nous avons des questions, des réponses et une tribune pour porter une parole qui, naturellement, doit être confrontée à la parole d’autres, pour trouver une réponse finalement politique. Finalement, on arrive à poser les éléments du débat qui amorcent la solution.

Christophe Barbier : Dans cette volonté d’anticipation, est-ce que vous envisagez le cas où, avec des modes de développement urbain totalement nouveaux, répondant aussi aux nouveaux comportements tels que le télétravail, ou un rapport aux déplacements qui oublient la voiture et qui fassent le plus possible l’économie de déplacements, l’outil que vous bâtissez aujourd’hui, soit largement assez dimensionné, voire surdimensionné pour les décennies à venir ?

Jean-François Monteils : En fait, vous êtes en train de me demander si j’anticipe le fait que je ne serve à rien ?

Christophe Barbier : Si, vous allez construire un métro qui va répondre au minimum, non il va répondre plus largement aux besoins que les besoins que l’on va devoir affronter.

Jean-François Monteils : Vous avez la bonne réponse. Alors je ne voudrais pas entrer, parce que ce n’est pas la tonalité, dans des aspects de techniques juridiques, mais qui comptent, c’est comme cela que ce traduit la politique, qui oriente les comportements de manière opportune. On essaie quand on construit des projets d’avoir des analyses qui anticipent qui font des analyses environnementales. Ce ne sont pas des réponses parfaites. J’ai du mal à considérer que les difficultés n’aient pas qu’une seule origine qui serait l’incapacité des politiques à anticiper. Ce n’est pas vrai. Dans l’immense majorité des cas, ils s’engagent pour essayer de trouver des réponses à des questions dont ils savent avant tout que leurs électeurs éventuels considéreront qu’ils font tout n’importe comment. Ce n’est pas facile. L’essentiel est d’installer les conditions d’un débat démocratique qui permet d’avancer. Bien sûr que l’on essaie d’anticiper cela. Je ne vais pas utiliser le terme galvaudé de « résilience » mais on essaie de comprendre en quoi ce qu’on construit est capable de s’adapter à ce qu’on n’a pas tout à fait imaginé. La SGP est un modèle intéressant car on nous a donné les moyens de réfléchir à cela. Nous avons un conseil scientifique pour anticiper toutes ces questions. Donc au-delà de la réponse immédiate très concrète qui est celle d’un établissement public, « est-ce que j’ai coché les bonnes cases juridiques ? » qui me permette de dire « oui, ce que je suis en train de faire est intéressant », on essaie d’aller plus loin. J’ai coutume de dire : « Notre impact sera très majoritairement autre que celui qu’on a imaginé. »

Enfin, un dernier mot, une des clés très concrètes, même si là aussi c’est galvaudé, et vous en parleriez tous les trois mieux que moi, une des clés nous semble être une double notion celle de la modularité, c’est-à-dire « est-ce que ce qu’on fait est apte à se transformer ? ». Cette double notion, nous y tenons et essayons de l’appliquer sur l’infrastructure et surtout sur les quartiers de gare.

Christophe Barbier : Merci beaucoup. Puisque vous avez parlé de débat démocratique, nous avons un petit quart d’heure pour des questions de la salle, s’il y en a.

Question du public : Il me semble que la grande difficulté pour développer quelque opération que ce soit, cohérente, avec l’urbanisation de l’Ile-de-France, par exemple, c’est que dans les collectivités territoriales un projet d’urbanisme sensibilise toujours l’opposition d’une municipalité. Et les partis politiques d’opposition s’engouffrent sur cette opposition qui est presque naturelle dans une population effrayée par toute bétonisation. Il y a des recours sur tous les projets systématiquement. Y a-t-il une solution à ce paradoxe politique ? En tant qu’urbaniste, j’ai pratiqué des collectivités de toute couleur politique et j’ai constaté ce phénomène partout.

Christine Leconte : Oui, la ville c’est le lieu du débat démocratique, de la fabrication de la ville, cela cristallise les choses et c’est bien normal. Il y a le temps des élections et l’anticipation. Aujourd’hui, on a besoin d’un courage politique qui dépasse les cinq ans. On l’a vu avec l’élection présidentielle, le logement et l’aménagement du territoire n’ont pas été un sujet. J’ai fait toutes les écuries de campagne et je n’ai obtenu beaucoup de réponses. Donc nous avons un vrai sujet : on ne se positionne plus, il n’y a pas de vision, il n’y a pas de stratégie sur le long terme. Faute d’idées, pas de débats réels.

Autre chose, regardez un PLU, ce qui m’a toujours choquée c’est qu’un pétitionnaire, pour une extension de maison par exemple, arrive au service urbanisme de la ville, et se voit présenter le règlement de zone. Comment voulez-vous comprendre un projet de territoire, où vous allez inscrire votre nouvelle construction, si l’on vous donne juste un règlement ? Il faut comprendre un récit, il faut comprendre le territoire dans lequel on veut s’inscrire et ce message est compliqué à faire passer.

Christophe Barbier : Est-ce que la consultation populaire, projet par projet, peut être une solution à ces blocages politiques ?

Christine Leconte : En tout cas, il faut plus d’urbanisme, plus d’architecture, plus de paroles sur les lieux où l’on habite, partout. A l’école, dans les rues, dans les cafés, il faut des conservatoires d’architecture pour les enfants, comme il y a des conservatoires de musique et de la ville ! Il faut une éducation beaucoup plus massive pour que cela devienne un débat, que l’on puisse parler plus ouvertement de nos lieux de vie, aussi simplement que l’on parle de savoir si un vaccin est bon ou pas bon.

Christophe Barbier : Jean-François ?

Jean-François Monteils : Ne me tentez pas sur ces questions qui, encore une fois, vont me faire déborder dans des zones où je n’ai pas trop le droit de m’aventurer comme haut-fonctionnaire. Alors, petit quart d’heure de cuistrerie, à l’époque Alcibiade se fait ostraciser au prétexte qu’il est juste, puis, à la fin, Athènes disparaît… donc oui, c’est le débat démocratique dans la cité, cela ne marche pas toujours, la démagogie marche aussi, mais on ne sait pas fonctionner mieux. Sur cet aspect de la consultation populaire, qui est un sujet, à mon sens, extrêmement intéressant, il faut qu’il y ait du débat. Mais je pense qu’il faut faire très attention quand on met en place les dispositifs qui nous font abandonner la démocratie représentative ou en tout cas l’abîmer, c’est dangereux aussi. Il y a le débat et la décision.

Christophe Barbier : Y a-t-il une autre question ?

Question du public : Bonjour, j’aimerais savoir comment vous voyez, chacun d’entre vous, la smart city ?

Christine Leconte : On voit bien que les architectes sont les gens les plus courageux du monde, donc je réponds. Alors la smart city, la « ville intelligente », je préfère les hommes intelligents. La smart city, je pense qu’on a utilisé ce mot-là de manière extrêmement galvaudée, comme on le fait pour beaucoup de choses. Les noms changent, on utilise de nouveaux mots et puis d’autres. Des gadgets apparaissent en architecture, des gadgets apparaissent en paysage, ce sont des modes. Il faut savoir utiliser l’innovation pour aller dans le bon sens. Aujourd’hui, le bon sens va être sur la sobriété, sur la manière dont on limite l’usage de certains matériaux, cela va être le bon geste au bon endroit. Regardez à quoi cela nous a menés ! On en arrive à la climatisation… je suis désolée, je reviens à ça. Quand on regarde les pays d’Afrique et la manière dont ils climatisent certains espaces ancestraux, on a tout de même d’autres systèmes de ventilation plutôt que de venir rajouter des systèmes électriques… Nous-mêmes en France, on ne fait même plus des logements qui permettent de ventiler naturellement puisqu’on est souvent mono-orientés. Donc même la base de la base, on n’y pense plus ! Oui à l’intelligence, à l’innovation, mais au service d’un projet collectif.

Question du public : La première qualité d’un habitat, c’est de pouvoir profiter de son environnement immédiat et de ne pas être obligé de prendre un moyen de transport pour aller respirer de l’air un peu plus frais ou plus propre ailleurs, ou de pouvoir s’entendre parler, à l’abri du bruit des véhicules. Aujourd’hui, avec un certain cynisme, puisque vous l’avez évoqué tout à l’heure, et sous la pression d’une logique de construction assez ignoble des pouvoirs publics, on se retrouve avec des constructions faites dans des endroits où tous nos prédécesseurs ont pris la précaution de ne pas mettre d’habitat, c’est-à-dire le long des autoroutes ou des routes à grande circulation. Ainsi, ne serait-il pas souhaitable qu’un ensemble pluridisciplinaire de gens, se mette d’accord sur ce qui pourrait être un indice global d’habitabilité, qui intègre un ensemble de paramètres, y compris le bruit, et la qualité de l’air, de façon à guider les édiles et les responsables municipaux qui, aujourd’hui, sont tout simplement abandonnés à la nécessité de la construction ?

Christophe Barbier : Sachant qu’avec 100% de véhicules électriques, on pourra peut-être discuter au bord des autoroutes ?

Question du public : Oui mais bon, dans quarante ans peut-être ?!

Michel Desvigne : C’est une situation difficile, je comprends que l’on gère des équilibres multiples, on cherche à être proches des systèmes de transport. Tous les travaux relevant du Grand Paris, tous ces projets de réinvention consistent souvent à ce que vous dites, c’est-à-dire qu’on vient densifier dans des endroits qui ont l’air impropres mais qui, aujourd’hui, ont cet avantage d’être proches des moyens de transport. Je comprends que l’on trouve que la proximité du transport, le fait que ces logements soient reliés à de nombreuses autres choses dans la ville, est un avantage considérable qui vaut la peine. Je pense que toutes ces opérations de densification récentes que l’on observe, ne relèvent pas tant du cynisme que de cette mise en réseau de systèmes de transport aujourd’hui. On a vu cela dans de nombreuses métropoles françaises, où effectivement, le long de tramways souvent, on est venu construire à des endroits qu’on n’imaginait pas autrefois, parce que ce transport évite tout le reste.

Christophe Barbier : Le bien-être à un endroit c’est d’abord pouvoir en partir ?

Michel Desvigne : Au fond, si on ne faisait pas cela, alors on accepte de nouveau la multiplication de la voirie et de son usage. Il n’y a pas de situations parfaites. Nous sommes nombreux et nous ne voulons plus évidemment consommer les terres agricoles donc on construit là où c’est libre, souvent dans des friches industrielles, maintenant toujours liées à des transports publics. Donc ce ne sont pas des situations de rêve, avec une très belle maison au fond d’un grand parc et loin des routes. On doit jouer avec des intérêts parfois contradictoires mais sur le long terme, cette densification liée à des réseaux paraît intelligente.

Christophe Barbier : Une dernière question, avant qu’il soit temps de conclure ?

Question du public : Oui, je vais reprendre le sujet précédent. Je voulais savoir quelles étaient les bases légales du Grand Paris et ce qu’était devenu, le plan adopté par le Conseil régional d’Ile-de-France sur l’urbanisme, juste avant le lancement de la réflexion sur le Grand Paris. Il y avait eu tout un débat démocratique sur l’aménagement en Ile-de-France notamment sur le prolongement du grand canal, comment ne pas construire pour garder un prolongement, pour avoir la vue sur le prolongement du grand canal.

Jean-François Monteils : Il y a une loi sur le Grand Paris, qui date de juin 2010, sur laquelle sont venues s’agréger certaines modifications législatives. Pour faire simple, la base légale du Grand Paris faisait suite à des débats consistant notamment à essayer d’accorder divers types de planifications ou divers projets envisagés, pour construire une réponse qui soit politiquement viable bien qu’imparfaite. Je suis bien sûr incomplet en vous disant cela mais globalement on a essayé de faire la synthèse démocratique de ce qui avait été discuté jusqu’ici.

Michel Desvigne : Il se trouve que j’ai étudié à Versailles, il y a une quarantaine d’années, et Gilles était mon enseignant, tout ceci ne nous rajeunit pas, mais on tient le coup. Il faut dire qu’il y a quarante ans, on se posait la même question : quelle ville voulons-nous pour demain ? Ce n’est pas nouveau. Ces grands projets de territoire, on en rêvait parce qu’on avait vu que les Américains l’avait fait à la fin du XIXe siècle. Chez nous, cela n’existait pas et nous ne pouvions pas le faire. On se lamentait ici, justement, d’un immense déficit de projets. Il n’y avait pas de visions globales. On voyait quelques pays les développer, les Belges notamment. Donc en quarante ans, il y a eu cet exemple du Grand Paris et puis, toutes les métropoles françaises se sont dotées de visions de long terme. Combien de projets, de colloques, de biennales depuis ? Très honnêtement, en quarante ans, quel chemin parcouru ! Jamais on ne pouvait imaginer cela, les structures administratives ne le permettaient même pas. On en parlait avec François, il a été créé, par exemple, de nouveaux types de commandes publiques. Les accords-cadres qui existent aujourd’hui, nous permettent dans des temps longs, parfois seize ans, deux fois huit ans, de réfléchir à un lieu, là où auparavant nous avions de maigres études de faisabilité, sinon des missions de maîtrise d’œuvre qui se limitaient à de petits espaces publics, des placettes.

Il y a quarante ans, ici-même, dans cet endroit précis, jamais nous n’aurions pu imaginer qu’on anticiperait le futur comme nous l’avons fait. Il ne s’agit pas de tout trouver extraordinaire. Bien sûr, il y a du cynisme et il y a des situations monstrueuses qui existent, certes, mais dire que l’on n’a pas développé des outils, des visions, ne serait pas juste car on y a tous mis de l’énergie, tous. Pour autant, tout cela est fragile, voyez Saclay, et il y a encore du chemin, mais enfin, tous les pays européens n’ont pas ce que nous avons, beaucoup de métropoles n’ont pas cela. Pour finir, je regrette le peu d’intérêt et on dit souvent qu’il faut des référendums, mais à quel point il y a une paresse, de tous, qui ne veulent pas savoir ? Qui lit des articles ? Qui se documente ? Moi par exemple, je vis en partie en Suisse. En Suisse, quand il y a un référendum, le citoyen suisse reçoit une documentation importante et il doit travailler, lire, comprendre. Ce ne sont pas des votes-ressentis, c’est l’inverse de la ZAD. Avant le vote, il y a du travail, de la précision, de l’intérêt. Et en effet, j’ai beaucoup enseigné en Suisse, et j’ai vu que le citoyen suisse a une conscience des mécanismes, il comprend les démarches, il comprend ce que font les hauts-fonctionnaire. C’est fondamental et tout à fait possible en France. Ce n’est pas une pirouette politique, c’est un engagement des élus et de chaque citoyen. On a un côté assisté et paresseux, on le sait bien, et je trouve que l’on doit s’élever.

Christophe Barbier : Merci beaucoup, Michel, pour ce mot de la fin, merci à vous quatre. (Applaudissements)