Symposium : Quelle esthétique architecturale dans le contexte du réchauffement climatique ?

Symposium : Quelle esthétique architecturale dans le contexte du réchauffement climatique ?

00:00:10 : présentation par Philippe Rahm

Notre exposition “4°C entre toi et moi”, est partie d’une annonce officielle de Christophe Béchu, l’ancien ministre de la transition écologique. Pour lui, il fallait s’habituer à l’idée qu’il ferait 4°C de plus en moyenne en 2100, ce qui impliquait des étés à plus de 50°C à Paris, des canicules durant vingt jours plutôt que deux, la sécheresse en été, de grosses pluies en milieu de saison. Ce mouvement est lié à un glissement des climats. Depuis 10 000 ans, le climat tempéré sur lequel les architectes travaillent remonte vers le Nord, et le climat Nord-Africain vers la région parisienne. En tant qu’architecte, il faut se concentrer sur de nouveaux projets qui savent résister à ces conditions et donner une vision de la transformation architecturale, mais aussi culturelle et alimentaire qui aura lieu avec cette modification des climats. Nous avons la chance d’avoir parmi nous les architectes les plus talentueux et les plus reconnus ; chacun présentera son travail pendant une dizaine de minutes avant de répondre à la question du climat : leur style a-t-il été affecté par cette perspective de changement ?

Nous écouterons le bureau Bast de Toulouse, le bureau Bruther, Nicolas Dorval-Bory, Studio Muoto, le bureau suisse Truwant et Rodet.

Il est à noter l’édition de deux ouvrages dans le cadre de l’exposition ; le catalogue de l’exposition présente à la fois les recherches d’architecture vernaculaire, les manières de résister à ces chaleurs par convection, conduction, évaporation, radiation, incluant aussi le travail des 56 architectes invités et des textes critiques, et un deuxième ouvrage de littérature propose des textes d’Aurélien Bellanger, Marie Darieussex, Eliaouda, Annie Lulu ou Marie Elmasé et d’autres, qui nous invitent à repenser la littérature à travers les questions climatiques qui peuvent devenir un des actants du sujet ; deux ouvrages que l’on peut trouver à la librairie Volume accueillie à l’Office du tourisme.

(00:05:45) – Bureau BAST de Toulouse : Louis Leger et Laurent Didier

Notre bureau est situé à Toulouse. Nous ne sommes donc pas dans une région chaude, mais le climat est tout de même différent d’ici. On a depuis toujours travaillé sur la mise en place de dispositifs liés à la thermique du bâtiment, en particulier pour capter à la fois l’énergie solaire, ventiler et se protéger. Aujourd’hui, nous allons vous présenter une série de huit projets qui, pour nous, sont représentatifs de ces questions-là, à travers à chaque fois une image et une isométrie.

Notre bureau s’attache à développer des dispositifs reposant sur des logiques de bon sens plutôt que sur des technologies qui pourraient nous aider à gérer ces questions de thermique. Nous essayons de travailler de façon générale, avec des dispositifs relativement simples, pratiques, économes, dans une logique d’économie de moyens.

Il s’agit essentiellement de projets privés avec des budgets modestes pour lesquels nous essayons de proposer un grand nombre d’ouvertures sur l’extérieur à travers du vitrage, ou tout du moins des parois transparentes. Ces solutions soulèvent plusieurs problèmes dans un environnement chaud. Nous allons vous donner quelques exemples.

Le premier projet est une réhabilitation du comble d’une demeure de maîtres autour de Toulouse. Historiquement, celui-ci n’était pas habité, et constituait un espace tampon entre des zones habitées et des zones extérieures. La volonté de réhabiliter ce comble a posé des questions thermiques, parce que ces endroits sont directement impactés par le rayonnement solaire. La question de la gestion de ces surchauffes s’est rapidement posée. Nous avons isolé le toit, nettoyé le comble, gardé la plupart des éléments qui étaient existants, par exemple la charpente ou même le plancher. Pour changer le moins possible l’aspect de la maison, nous sommes intervenus sur les cheminées existantes afin de permettre une ventilation naturelle de l’espace et un apport de lumière.

Après avoir épaissi la cheminée, nous avons installé des ventilations. Ce que l’on voit sur l’image, ce qui est en coupe, c’est le volume du comble qui vient chercher dans le volume de cette cheminée un endroit d’aspiration d’air qui communique également avec le reste de la maison à travers un escalier. Il s’agit précisément de ce petit dispositif qui rend habitable l’espace de comble, sujet à surchauffe en été.

Le deuxième projet concerne une maison à Toulouse. Nos clients ont acheté une petite parcelle à l’arrière de leur maison assez étroite et relativement longue. Ils souhaitaient agrandir leur séjour. Nous leur avons proposé de faire une pièce avec une toiture vide, vitrée, entièrement ouvrable qui leur permettrait d’agrandir la maison, mais aussi de créer un espace extérieur en été, entre jardin et cour. Nous avons constaté qu’en fonction des saisons, ce lieu est assez changeant. Une partie de la verrière est fixe sur la moitié de cet espace et la seconde s’ouvre sur la partie fixe, en utilisant un système simple de moteur de portail de maisons ; un moteur qui permet à cette verrière de 5 mètres de long de s’ouvrir sur l’autre partie de la verrière.

Le troisième projet se déroule dans un contexte un peu différent, en Sardaigne, là où le Mur Tromb (mur solaire) a été inventé. Ce territoire jouit d’un ensoleillement assez important, notamment puisqu’il s’agit d’une des régions de France les plus ensoleillées. Comme nous sommes en altitude, il existe en hiver un enjeu clé : celui de tirer un bénéfice du rayonnement solaire. Nous avons généré un espace tampon périphérique qui a créé une surface supplémentaire nécessaire. En effet, le vitrage mis en place va capter le soleil et ainsi mettre en chauffe l’espace tampon et, par ailleurs, le mur en granit accumulera également cette chaleur et la restituera au cours de la journée.

Le quatrième projet est situé à Toulouse. C’est la fusion de deux maisons initialement distinctes. L’enjeu premier était de les relier ; le second enjeu était de venir isoler par l’extérieur l’ensemble des bâtiments existants. Les parties en hauteur sont ainsi isolées avec un ITE (Isolement Thermique par l’Électricité) relativement classique. C’est une sorte de galerie entièrement vitrée, assez fine, qui relie l’ensemble des deux bâtiments. Il est possible de les “charger” en hiver pour un apport de chaleur supplémentaire. En été toutefois, nous avons un système très simple de rideaux thermiques à l’extérieur du vitrage qui vient créer une protection solaire. C’est donc une maison très efficace au sens thermique tout au long de l’année.

Le cinquième projet est une maison située sur les coteaux du Tarn, autour de Toulouse. Pour ce projet, nous avons travaillé avec un charpentier qui fabrique des hangars pour exploitation agricole. Nous avons travaillé principalement de l’assemblage d’IPN, de la toiture ondulée métallique, des panneaux sandwich, tout ce qu’il y a de plus économique et de standard. Ensuite, nous avons vitré l’ensemble de cette structure. Il faut faire preuve de savoir-faire pour développer des petites choses de bon sens pour éviter que cette maison ne subisse la surchauffe en été. Par exemple, la toiture est posée au-dessus du panneau isolant qui lui-même est fixé à la structure ; cela génère donc un espace entre la toiture et l’isolation qui est surventilé et qui permet d’amoindrir l’effet de la surchauffe en été.

Par ailleurs, sur les façades, nous avons mis en place des systèmes Avantel sur l’ensemble des pièces de la maison, ce qui permet de se retrouver dans une espèce de maison tropicale ayant la température de l’air extérieur. Et de par sa situation géographique sur les hauteurs des coteaux, on profite du courant d’air. Ainsi, bien qu’une climatisation soit installée, pour l’instant, elle n’a jamais été utilisée.

Un autre projet concerne nos bureaux à Toulouse, situés dans un ancien garage en rez-de-chaussée qui n’a aucune ouverture sur la rue, si ce n’est un grand portail métallique. L’action du projet est simple : remplacer ce portail par un portail sectionnel, vitré, plus précisément par du plexiglas transparent. Ce dispositif, combiné avec un rideau thermique, nous permet, à chaque saison, de s’adapter et donc d’avoir un espace agréable à vivre au quotidien.

Le dernier projet lui s’attelle à une surélévation d’un petit immeuble dans le centre-ville de Toulouse permettant de créer cinq logements. Nous voulions créer des logements en traversant. Comme il s’agit de petites typologies, nous avons utilisé l’espace de desserte de l’immeuble, la cage d’escalier, qui devient une sorte de puits de lumière avec une toiture en tuile de verre qui est étanche à l’eau, mais pas à l’air. L’air circule, et de fait, l’ensemble des pièces d’eau donnent dans cette sorte d’atrium avec des ouvrants qui permettent à la fois d’éclairer naturellement les salles d’eau mais aussi de les ventiler.

Nous nous sommes également intéressés à une autre façade, celle qui donne sur rue. Sur celle-ci, il existait un double enjeu : un enjeu thermique, puisqu’elle est située est plein ouest, mais aussi un enjeu acoustique. Sur cette façade, on a donc créé un espace tampon, d’une part composé d’un double vitrage, mais aussi d’un simple vitrage en hauteur sur l’appartement. Cette espèce de double peau permet de gérer l’acoustique, mais également la température. En hiver, en fermant les simples vitrages, on favorise l’apport solaire et on chauffe le double vitrage. Et en été, on ouvre largement les fenêtres coulissantes, tout en fermant les rideaux, nous permettant d’être protégé de la surchauffe.

Cette présentation a été axée sur la thématique thermique, mais ce n’est pas le seul axe sur lequel nous travaillons. Pour autant, cela fait partie des contraintes liées à notre situation géographique d’aujourd’hui.

(00:18:03) Bureau Brutert : Stéphanie Bru

Pour commencer, je voudrais préciser qu’à l’agence, nous n’avons pas réellement une architecture qui s’appuie sur une thèse. Les questions sont arrivées au fur et à mesure par les divers projets sur lesquels nous avons travaillé. C’est-à-dire que le premier projet nous a apporté des questions auxquelles nous avons répondu, qui ont enchaîné sur d’autres questions. Et en fait, c’est un processus qui est ouvert et qui est en constante évolution. Notre façon de faire n’est ainsi jamais vraiment figée. Ce qui pour nous est important, c’est de comprendre qu’il y a une temporalité à la fois des besoins, et en second lieu une temporalité des réponses parce qu’un projet, cela met du temps à sortir. Dans tous les cas, on essaie de garantir que l’architecture s’inscrit toujours dans un dialogue.

Concernant les questions climatiques, certaines valeurs sont pour nous primordiales. Travailler sur la question de l’économie et l’excès, sur la question de la technique et de la poésie, mais aussi la question des usages présents et futurs. Aujourd’hui, on se rend compte que même si on fait face à une certaine précarité, le confort individuel est devenu une obsession. Parfois, nous avons l’impression que l’on oublie l’essentiel. Face à cela, nous nous inscrivons dans une volonté de changement. Nous aimons travailler sur l’équilibre, entre stabilité et instabilité, entre rigueur et liberté, mais aussi œuvrer pour des projets qui puissent durer dans le temps.

Pour nous, être architectes, c’est créer l’improbable et avoir pour objectif de fabriquer des bâtiments qui puissent offrir la plus grande liberté et la plus grande résilience, à la fois pour les usagers, mais également pour leur environnement.

De plus, avec Alexandre, nous sommes aussi enseignants. C’est une part importante de notre engagement puisque nous partageons cette vision engagée de l’architecture où l’on essaie d’allier créativité et technique.

Nous sommes influencés par les mots d’Italo Calvino dans ses lectures américaines, où il proposait six propositions pour le nouveau millénaire. Ces mots sont pour nous une sorte de repère. Lorsqu’il évoque la légèreté pour le prochain millénaire, pour nous, cela signifie d’une certaine manière de créer des espaces libres de toute inutilité qui puissent également révéler les lieux. Lorsqu’il parle de rapidité, on recherche la simplicité et l’efficacité dans chaque choix architectural. Lorsqu’il parle d’exactitude, cela nous guide à concevoir avec précision pour maintenir la plus grande habitabilité possible et la pertinence, qu’il ne faut jamais oublier, la pertinence sociale. Lorsqu’il parle de multiplicité, nous proposons des programmes hybrides et des usages divers. Lorsqu’il parle de visibilité, nous nous attelons à révéler à la fois le potentiel invisible des lieux, mais aussi le potentiel des matériaux. Et enfin, lorsqu’il parle de consistance, il nous incite à s’ancrer dans la durabilité et la résilience, à la fois pour appuyer les usages, mais aussi leur sens.

Sept projets vous sont présentés et ils portent en eux ces valeurs-là, ils sont aussi nos moteurs d’innovation.

Tout d’abord, le Centre culturel Saint-Blaise à Paris peut illustrer le concept d’architecture citoyenne ; un projet réalisé dans un des quartiers les plus denses et les plus jeunes de Paris.

Le projet était de créer un lieu de rencontre, un lieu pour vivre ensemble destiné à toutes les générations. Ce bâtiment a transformé un endroit vide en un endroit vivant, accueillant, qui permet à chacun de se l’approprier. Aujourd’hui, le bâtiment joue un rôle clé, un rôle de lien social pour le quartier, avec un grand hall qui, comme une place publique intérieure, reflète la vie du quartier et se transforme en miroir de l’énergie locale. Au-delà d’un simple bâtiment, nous voulions donner aux habitants la possibilité de se réapproprier leur quartier, la possibilité d’imaginer ensemble un avenir plus collectif et, on l’espère, plus dynamique.

Le Centre de recherche Nouvelle Génération à Caen me permet d’évoquer les aspects d’économie et de performance, un des enjeux du prochain millénaire.

Ce Centre est pensé comme un outil au service de l’innovation où chaque ressource, chaque espace est optimisé pour avoir un impact maximal tout en maîtrisant les moyens. Dans ce projet, il n’y avait pas de programme figé. C’est un projet très simple, ce ne sont en fait que des espaces libres, modulables où le facteur économique n’est pas apparu comme une contrainte, mais réellement comme un levier pour le projet. Ce que j’aime dans ce projet, c’est la vision performative, l’utilité sociale, l’idée de créer un espace qui soit propice aux échanges, à l’innovation et qui permet de se rendre compte que ce centre revêt une réelle utilité sociale. De plus, l’intérêt de ce bâtiment réside dans le fait que toutes les façades n’ont pas été réfléchies d’un point de vue architectural, mais calculées à partir des logiciels thermiques pour être au plus juste par rapport au climat à venir.

Lorsque l’on parle d’habitabilité maximale, je me dois d’évoquer la Cité internationale universitaire à Paris, avec la résidence pour chercheurs qui s’ouvre sur le magnifique parc de la Cité. Pour nous, ce bâtiment, est plus qu’une simple résidence fonctionnelle, puisque chaque espace, chaque élément qui compose ce projet offre à la fois des espaces et, à la fois, une technicité qui permet en toute circonstance d’apporter un certain confort. La coupe est plutôt intéressante puisqu’on a proposé de décoller le bâtiment du sol pour essayer de toujours garder cette perméabilité ; la question des sols jouant ainsi un rôle central. C’est aussi une structure adaptable, pensée, bien sûr, pour évoluer dans le temps, mais c’est surtout un cadre vivant qui concilie l’intimité et la monumentalité.

Pour parler de réversibilité, je parlerai de la résidence étudiante à Paris-Saclay. Le challenge était de marier la carpe et le lapin, puisqu’il fallait marier un parking aérien à des logements étudiants. Là aussi rien n’est figé sur le projet. La structure mise en place est optimisée, celle-ci est plutôt là pour permettre que pour contraindre. Pour nous, ce qui nous intéresse, c’est toujours comment on arrive à transcender le programme, à amplifier les usages. Sur ce projet, on trouve des maisonnettes en duplex, on trouve une rampe à double ellipse. Et puis, ce qui est aussi révélateur dans ce projet, c’est qu’il marque une forme d’indéterminisme programmatique qui est un peu fondateur à l’agence.

Pour parler du potentiel de l’existence, j’aimerais aborder le Centre national des arts plastiques à Pantin. Pantin est un territoire en mutation, mais représente avant tout, aussi, la mémoire ouvrière. Les structures existantes ont la capacité d’offrir des volumes généreux, des structures solides. En conséquence, ces structures répondent à notre besoin de grande flexibilité. Dans chaque nouveau projet nous cherchons à faire de l’existant notre allié. Nous cherchons toujours à valoriser l’histoire du lieu tout en ajoutant des nouvelles fonctions culturelles, permettant à la fois de respecter le passé, mais aussi de pouvoir participer à son avenir. Avec l’expérience, on peut se dire que chaque projet est une réponse sur mesure, par rapport au climat et au programme. Pour nous, l’objectif est toujours de répondre aux besoins de la collectivité.

Nous développons actuellement un projet à Buenos Aires, un bâtiment universitaire sur le campus de l’université Di Tella. Ce projet exprime cette idée de la collectivité entre le bâtiment et les places placées entre la ville et le fleuve. C’est en fait une structure légère, assez simple, à laquelle des espaces “bioclimatiques” ont été ajoutés un grand patio central.

Dans la même veine, nous avons un autre bâtiment en voie de livraison, la maison des médias à Bruxelles. Elle va contribuer à revitaliser ledit quartier est où l’on retrouve ces grands principes. Nous nous sommes intéressés à la compacité du sol. Nous proposons un bâtiment adaptable, notamment en proposant des larges plateaux modulables pour recevoir des studios télé, des espaces de coworking etc. Nous souhaitions en faire un lieu d’expression, de liberté.

En résumé, l’ensemble des projets présentés est centré autour de l’idée de pouvoir créer des lieux qui restent à la fois vivants, flexibles, ouverts et qui puissent répondre aux besoins d’aujourd’hui et de demain, mais toujours avec ces réalisations assez simples.

J’aimerais conclure sur une exposition, la présentation du travail de l’agence Drop City à Milan.  Cette exposition s’inscrit dans la continuité d’une autre exposition que nous avons déjà faite du nom de Moteur Action Forme. Dans cette exposition, nous développons notamment des prototypes. L’approche était assez ludique et participative. Les visiteurs pouvaient imaginer par eux-mêmes, en quelque sorte, une nouvelle architecture. On y présentait, par exemple, des brumisateurs intégrés à des auvents, des poutres en bois remplies d’eau, un écran qui était composé de 92 écrans réutilisés ou même un châssis de désenfumage en forme de fleur. Ce qui nous intéresse, c’est vraiment de questionner les usages, les matériaux et surtout les émotions. On a le plaisir d’expérimenter, pour créer une architecture qui soit vivante, expérimentale et surtout en mouvement.

(00:34:50) Bureau Compte/Meuwly : Adrien Meuwly

“Quelle esthétique architecturale adopter avec le réchauffement climatique ?”

C’est une question qui nous a beaucoup intéressé. On a essayé de formuler une réponse, que je vais lire.

Parler d’esthétique, c’est traditionnellement évoquer la forme, le style ou la beauté. Mais aujourd’hui, face à la crise climatique, cette notion devrait être interrogée autrement.

Je propose d’explorer une esthétique qui ne naît pas de l’image, mais de la relation, que ce soit au climat, au lieu, à l’existant, aux ressources, aux vivants. Une esthétique qui ne se donne pas qu’à voir, mais à sentir, à comprendre, à habiter. Je parlerais de beauté sans image. On revient à une esthétique de l’expérience, à ce que Walter Benjamin appelait le “hic et nunc” d’une œuvre, c’est-à-dire le “ici et le maintenant”, son existence unique, sa présence au monde, sa transformation lente à travers le temps.

Dans L’Oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, il écrit : “à la reproduction, même la plus perfectionnée, d’une œuvre d’art, un facteur fait tout le temps défaut, son ici et maintenant, son existence unique au lieu où elle se trouve”. Nous entendons par là autant les altérations qu’elle peut subir dans sa structure physique que dans les conditions toujours changeantes des propriétés par lesquelles elle a pu passer. Maintenant, ce ici prend une nouvelle dimension face au réchauffement climatique. Dans les régions à climat tempéré, comme en Suisse ou en France, qui vont connaître une hausse de 4 degrés d’ici à 2100, nos habitudes architecturales seront bouleversées.

Les modèles esthétiques classiques ne seront plus pertinents. Devrons-nous alors apprendre à construire et à penser la beauté, comme dans les régions arides, tropicales ou subtropicales ? Au vu de ces fluctuations, nous allons travailler dans un climat non seulement plus chaud, mais également plus instable et imprévisible.

L’esthétique ne pourra plus seulement être définie par des codes civilistiques importés, mais par des critères de soins, des critères de maintenance, des principes d’adaptation, une écologie du site, une lecture attentive de l’environnement.  L’architecture redevient alors une pratique de l’assemblage, en mettant les choses en relation. Et ces choses évoluent, changent, deviennent instables.

Mais il nous revient toujours de les assembler intelligemment, durablement et avec sens. Mais qu’assemble-t-on exactement ? On assemble dans l’incertitude, dans un climat instable, aux extrêmes imprévisibles, aux chaleurs caniculaires, au froid soudain, à l’humidité excessive ou aux sécheresses prolongées.

On assemble peut-être en s’inspirant d’un modèle de lieu où l’architecture a toujours su composer avec la chaleur, les brises soleil, des textiles, avec l’ombre portée, la végétation, l’eau, l’inertie thermique des murs, l’adaptabilité au rythme naturel. Il s’agit de développer une conscience constante de l’extérieur et de ses variations, de ses excès, de développer des manières d’habiter pour être au plus proche du bâti.

Les habitants et habitantes ne devraient pas être réduits à un rôle passif dans des espaces entièrement contrôlés, mais doivent pouvoir s’impliquer dans des régulations du climat intérieur, même si cela demande parfois un certain engagement. Un lien peut être fait avec l’attitude de Lina Bo Bardi, qui invitait celles et ceux qui lisaient ses articles, qui assistaient à ses conférences ou en faisant l’expérience des espaces qu’elle concevait, à considérer l’architecture non pas comme un ouvrage construit, mais comme un moyen possible d’être et de faire face à des situations différentes. Un article écrit par Laurent Stalder sur notre projet Filter House à Genève nous a aidé à formuler cette transformation des rapports aux bâtis.

Ce n’est plus la pure efficacité individuelle d’un poteau ou d’une paroi qui compte, mais leur interaction systémique, leur capacité à produire ensemble un environnement habitable, réactif, sensible au climat. L’architecture ne se construit plus sur la stricte séparation entre structure, isolation, protection, mais sur des composants hybrides, polyfonctionnels, qui participent simultanément à plusieurs rôles.

On voit alors émerger une architecture par couches, où chaque strate, thermique, lumineuse, végétale, énergétique, vient compléter les autres. Les façades, par exemple, ne se contentent plus de cloisonner. Elles filtrent, elles ventilent, tamisent, régulent.

Elles deviennent des interfaces actives, combinant panneaux isolants, textiles protecteurs, végétation adaptative et dispositifs de contrôle de lumière. De la même manière, les planchers ne sont plus de simples supports. Ils stockent et redistribuent l’énergie thermique, devenant tour à tour, surface chauffante en hiver, rafraîchissante en été.

Les vides intérieurs sont mobilisés pour favoriser la convection naturelle, remplaçant parfois des dispositifs techniques lourds. Et les toits, en captant l’énergie solaire, deviennent des générateurs intégrés à l’enveloppe du bâtiment. Ce renversement traduit un changement de paradigme.

Au lieu de penser l’architecture comme un assemblage de fonctions distinctes, portance, protection, régulation, on la conçoit comme un système interconnecté, où chaque composant participe à la performance d’ensemble. Ce modèle impose une lecture sensible du climat, une attention au cycle du jour, aux saisons, à l’orientation, à la matérialité. Il propose une esthétique de la réaction et de la cohérence, plus que de la forme pure.

Pour nous, ce renversement est essentiel. Il traduit le passage d’une esthétique de la pureté à une esthétique de la relation, de la réaction et de l’intelligence contextuelle. Il ne s’agit plus de créer des objets parfaits, mais des environnements réactifs, sensibles et situés.

Et pourtant, à l’heure du réchauffement, on continue à voir proliférer une architecture déracinée, indifférente au lieu, motivée par des impératifs économiques ou de densification. Alors, où est l’espoir ? L’espoir réside dans l’observation active et critique de ce qui est déjà là.

Observer, ce n’est pas seulement voir, c’est apprendre à lire l’existant, à comprendre les structures, les flux, les paysages, les usages, les matériaux, et à imaginer ce qu’ils peuvent devenir. Tout projet est une transformation d’un existant.  Il n’y a pas de pages blanches, pas de terrains vides.

Il y a toujours une situation avec laquelle travailler, un sol, un climat, un paysage, une construction ou une mémoire.

Le rôle de l’architecte n’est pas de nier ces données, mais de les accueillir comme matériaux de projet. Cela suppose de dépasser la distinction classique entre construction neuve et rénovation. Il ne s’agit plus d’un choix technique, mais d’un changement de paradigme, travailler avec ce qui est déjà là et en faire le moteur du projet. La transformation devient alors un acte de précision plutôt que de perfection. Elle repose sur une compréhension fine des contraintes, une capacité à lire les couches du bâti et du non bâti, à révéler les potentiels cachés et s’inscrit aussi dans une conscience de l’énergie grise, réutiliser, réparer, prolonger plutôt que de démolir.

Cela rejoint la pensée de Robert Smithson lorsqu’il dit, “I like landscapes that suggest prehistory. As an artist it is sort of interesting to take on the persona of a geological agent where man actually becomes part of that process rather than overcoming it.” (“J’aime les paysages qui évoquent la Préhistoire. En tant qu’artiste, c’est assez intéressant d’adopter le rôle d’agent géologique, pour que l’homme fasse partie de ce procédé, plutôt que d’avoir à le dépasser.”)

Loin de l’idée de la domination par les architectes, cette vision propose un rôle humble, celui d’accompagner les transformations, de révéler les situations et leurs potentiels. Observer, c’est analyser le visible et l’invisible, les micro-climats, les qualités du sol, les usages, les matériaux disponibles.

C’est en tirer des interprétations subjectives, des hypothèses et des récits. On revient alors à l’idée que chaque projet est un assemblage, un assemblage de phénomènes, de matériaux, d’acteurs, de lieux, d’images et de récits. Une composition dynamique, ouverte, fragile parfois, mais juste.

Une esthétique fondée sur la pertinence, la précision et la responsabilité.

En conclusion, face au réchauffement climatique, l’esthétique architecturale change de registre. Elle ne peut plus être celle de l’image seule, mais doit devenir celle de l’assemblage intelligent, de la transformation, de la mise en valeur des qualités spécifiques.

C’est une esthétique du soin, du lien, de la narration et de la réaction. Une beauté moins spectaculaire, mais plus durable, moins formelle, mais peut-être plus juste.

(00:44:55) Nicolas Dorval-Bory

Le changement climatique induit une réflexion sur les composants, les composants même du réel, la matière physique dont on parle beaucoup dans l’exposition de P. Rahm et S. Frini. Avant d’en parler, je voulais simplement évoquer un projet réalisé il y a quelques années, qui illustre une manière, non pas d’interpréter cette question du réchauffement climatique, mais plutôt d’envisager les questions du réel dans le projet. C’est un exemple assez concis sur un paramètre qui est celui de la lumière artificielle.

Il s’agit d’un petit appartement pour lequel nous avons été contacté en nous demandant de faire quelque chose sur la lumière artificielle parce qu’il était extrêmement sombre. Et plutôt que de chercher à essayer de faire une lumière artificielle partout dans ce projet, on s’est demandé quelles étaient les qualités d’une “bonne” lumière et on a essayé de rentrer dans le détail. On a découvert qu’une lumière qui a une très bonne qualité spectrale, c’est une lumière qui a une très faible consommation d’électricité. La lumière constituée de sodium basse pression a une très mauvaise qualité spectrale, qui est même une lumière monochromatique. On peut donc la considérer comme étant mauvaise en termes spectrale, mais bonne en termes de consommation.

On s’est dit qu’on pouvait faire quelque chose de très simple, qui était de prendre les deux polarités extrêmes. Deux qualités différentes qu’on oppose et dont on se dit que c’est la rencontre qui va faire l’intérêt du projet. On prend exactement la même quantité de lumens pour chacune de ces deux sources, le sodium basse pression et le fluorescent à haut rendement.

A travers la création d’un petit mur, nous pouvons mettre dos à dos ces lumières, et c’est le mélange de ces deux situations lumineuses qu’on peut qualifier de bonnes ou mauvaises selon le point de vue sur lequel on se place, qui conduit à créer pour nous la qualité de l’architecture. L’aménagement de l’espace apparaît ainsi seulement de manière secondaire dans ce projet.

Ce projet a été aussi fondateur d’une manière de voir cette question de ce qu’est la vérité ou la bonne manière de faire les choses et nous a conduit sur cette voie de la dualité. On a considéré deux solutions qui étaient tout aussi valables l’une que l’autre et qui pouvaient ensemble produire une forme de complexité qui est intéressante en architecture.

Cela me fait rebondir sur une illustration de Reyner Banham dans son ouvrage “l’architecture de l’environnement”. Ce dessin évoque aussi une autre forme de dualité qui est propre à l’architecture. Il y peint une tribu qui arrive dans une forêt et qui doit y passer la nuit. Ils ont une pile de bois face à eux et ils doivent choisir s’ils veulent construire un abri avec ce bois ou s’ils veulent le brûler pour avoir chaud. Reyner Banham montre ainsi ces deux approches-là : l’approche structurelle ou l’approche énergétique qui définissent tous les choix que l’on fait en architecture.

Cette dualité de la matière et de l’énergie on l’étudie beaucoup dans notre bureau. La plupart des projets tournent autour de cette dialectique-là. On le fait de manière un peu plus précise que Reyner Banham en 1969, en s’intéressant concrètement à la réalité physique de la matière.

Effectivement il y a un réchauffement général, mais il s’agit aussi d’un dérèglement avec des épisodes de grêle au mois de mai par exemple, ou des canicules, des inondations, une multitude de variations.

L’architecture est en capacité de produire de l’inertie thermique qu’on qualifie en thermodynamique, de résilience thermique. Cette question est passionnante, et elle est traité depuis quelques années avec mes équipes. L’architecture a ainsi la capacité à absorber les variations climatiques futures, pour pouvoir proposer des situations climatiques plus acceptables.

Nous pouvons aussi apercevoir sur l’écran une illustration de David Ogden que j’apprécie particulièrement et qui représente ce que je m’imagine être la qualité architecturale de cette inertie, un noyau central qui sont trois foyers, trois cheminées avec deux fours. Situé au centre nous retrouvons une grande masse d’inertie thermique enveloppée par une couche plutôt fine qui est. En conséquence, plus on est proche des parois extérieures, plus on ressent les conditions extérieures.

L’architecture liée au changement climatique a nécessairement cette dimension infrastructurelle, je vais illustrer cela par quelques projets plutôt conceptuels.

Nous avons réalisé en Suisse il y a trois ans une infrastructure scolaire. C’est un grand bâtiment en béton avec une grande masse thermique. Celui-là se trouve être avoir deux formes thermiques : d’une l’énergie captée par la toiture et d’autre part, l’inertie du sous-sol. Le bâtiment devient le lieu de la rencontre de ces deux énergies mises en relation, elles diffusent la chaleur ou la fraîcheur à l’intérieur des dalles en béton.

On aime bien explorer cette dualité de manière très littérale et voir comment cette dimension peut produire des manières d’habiter ou offrir des potentiels spatiaux variés.

Pour le projet d’une maison construite à proximité d’un rocher en grès très imposant, on a eu l’idée d’habiter autour du rocher qui existait. La climatisation de la maison vient ainsi seulement de la mise à température ou de l’abaissement léger de la température d’une énorme masse thermique. C’est une sorte de foyer inversé. L’infrastructure créée est très simple ; elle offre une surface habitable autour de cette condition climatique qui est celle du rocher froid.

Ces questions d’inertie thermique on l’intègre également dans des projets plus opérationnels. Par exemple, lors d’un concours pour un immeuble de logements pour Paris Habitat. La brique utilisée sur ce projet permet l’inertie thermique. Elle capte la chaleur, à l’image de murs-trombes. C’est un murs-trombe ouvert avec les bow windows qui permettent de capter de l’énergie du soleil la journée, éventuellement de la fraîcheur la nuit. Ce sont des principes développés sous forme de recherche concrète.

Tous ces principes se matérialisent dans nos projets de réhabilitation, assez simples, comme par exemple à Paris avec une maison dans laquelle on ne pouvait pas isoler les murs du sous-sol. Il fallait réfléchir à une autre manière de produire du confort thermique dans cet espace. Nous avons raisonné sur la radiation plutôt que sur la conduction de la température de l’air.

Nous ne travaillons pas sur l’isolation des murs pour bloquer la température, mais plutôt sur la chaleur émise par le sol, afin que la seule source de chaleur rebondisse sur les murs. C’est un peu comme les rideaux thermiques que nous avons retournés. Le centre du projet, ici, est le sol, qui rayonne et vient irradier sa chaleur dans l’espace.

Nous travaillons sur des principes de ventilation et des principes de désolidarisation.

(01:00:40)   Gilles Delalex pour le Bureau Muoto

Pour répondre à la question posée, nous n’avons pas essayé de chercher directement des solutions, nous nous sommes intéressés aux questions qui mènent à ces solutions.

On s’est tout d’abord rendu compte qu’on adoptait généralement une position de protection. Évidemment, on avance l’argument de protéger l’environnement, mais en réalité, on met en place des dispositifs, en épaississant les murs, en réduisant les fenêtres, en utilisant beaucoup de mousse, beaucoup de matériaux et cela pour garantir un confort de vie. Dans ce cas, on ne protège pas du tout l’environnement. Désormais, lorsqu’on parle des espaces jardins qui n’ont pas de fonction particulière, on se pose la question de leur utilisation et de leur typologie.

On se demande également si l’architecture va être plus extravertie ou plus introvertie. Cela dépend évidemment de la localisation des espaces extérieurs. On réfléchit à l’emplacement des espaces par rapport au bâtiment. On se pose des  questions d’architecture, de composition.

Le premier projet présenté est un concours à Clichy-Montfermeil. Un magnifique programme culturel pour les arts vivants. Pour le théâtre, nous avons prévu au centre une pièce de représentation.

On a choisi un schéma extraverti. On part du centre et on s’écarte. C’est une structure d’oignons puisqu’il y a des couches qui enveloppent progressivement cette grande salle centrale. Les deux premières couches sont des panneaux, plus précisément des cloisons amovibles, qui permettent des ouvertures sur les espaces connexes. Puis, dans un second temps, nous avons une façade avec des rideaux que l’on retrouve dans cette pièce centrale.

Une pièce, c’est bien, mais si elle est flexible, c’est mieux. On ne prend pas la flexibilité en tant qu’espace neutre, mais en tant que scénario. En ouvrant des cloisons amovibles, nous pouvons ainsi créer une multitude de configurations différentes.  Des espaces sont créés dès lors que cette boîte s’ouvre sur ces espaces périphériques. Plus le bâtiment s’élargit, se déploie dans sa périphérie, plus il devient transparent.

Dans ce projet les grands rideaux répondent à la thermique mais également à cette question de la théâtralité du bâtiment.

Lors de la construction nous avons rencontré le chorégraphe Boris Charmatz qui nous a appris qu’aujourd’hui, on dansait avec des sneakers, ce qui induisait que chaque lieu du bâtiment devait être un lieu de répétition.

Notre proposition a été de faire de chaque lieu, chaque escalier, chaque passerelle, un lieu où l’on répète, où l’on joue de son corps et de sa voix. Et on s’est dit que toutes ces façades seraient un lieu de rencontre et de répétition.

Le deuxième projet présenté est situé dans un climat différent puisqu’il se situe à Montpellier ; un climat méditerranéen. Ici, la situation a été complètement inversée. On s’est dit qu’on allait faire un bâtiment introverti par rapport au climat, mais aussi par rapport à une situation puisque le projet était de construire des bureaux.

En général, la flexibilité dans les bureaux est difficile à atteindre : il s’agit de bâtiment d’environ 18, 19 m de large, avec un tiers sombre au milieu, des faux plafonds, des faux planchers, ainsi qu’une grande façade vitrée.

Nous avons recouvert l’extérieur d’une sorte de maille, des rideaux qui créent aussi une couche avec des vitrages en retrait. Cela donne la possibilité d’inventer une certaine esthétique. De plus, il y a des lumières zénithales qui sont régulières. Le bâtiment est complètement rythmé par cette idée d’un noyau qui dessert quatre petits plateaux de 12 m par 12 m.

Il y a ensuite une trame divisée en sous-trames avec beaucoup d’enjeux économiques puisqu’ils répondent à un prix de bureau standard bas. Cela nous pousse à garder seulement l’essentiel de la structure en béton.

On travaille également sur cette même trame de 12 mètres par 12 mètres, avec le noyau, le petit plateau, la salle de conférence, l’atrium, les patios, terrasses extérieures. On voit que le bâtiment est fermé de l’extérieur, pour autant lorsqu’on est à l’intérieur, on perçoit les espaces d’un bout à l’autre grâce à la façade.

Il s’agit donc d’une architecture très introvertie, qui se découvre seulement quand on passe la porte.

Emeric Lambert (01:12:12) pour le Bureau Parc Architectes

Dans le cadre de notre réflexion, nous sommes partis de la question de l’esthétique de l’architecture à l’heure du changement climatique.

Notre agence travaille sur des dispositifs climatiques en se concentrant sur ce qu’on ne voit plus, ce qu’on oublie, en l’occurrence le fait que nous vivons dans l’atmosphère un peu comme des poissons. Cette réflexion nous l’avons engagée depuis plusieurs années, en 2013, pour un concours de bureaux à Vevey, en Suisse. Une colonne d’air de respiration avait été installée entre un plan d’eau et une toiture qui chauffe. Autour, nous avions installé des protections solaires qui chauffent aussi, et qui tirent l’air par convection naturelle à travers les planchers.

On travaille sur l’influence du soleil, qu’on a représenté dans l’exposition “4 degrés entre toi et moi.” comme des radiations et non pas comme des raies de lumière. Pour nous, le but, ce n’est pas de représenter tous ces aspects techniques, mais de les intégrer dans l’architecture.

Si on réfléchit aux Patios en Andalousie on remarque qu’ils offrent des espaces frais, utilisés en fin de journée et qui accueillent des moments de sociabilité. On ne vit pas juste humains et bâtiments, on vit dans quelque chose de beaucoup plus complexe. Ce qui nous intéresse, c’est de savoir d’où provient l’apprentissage sur la puissance de l’architecture ; des savoirs que l’humanité a mis quelques milliers d’années à mettre au point. Finalement nous nous intéressons à l’architecture vernaculaire.

Pour illustrer cette architecture, on peut se référer à une image du livre de Bernard Rudofsky Architecture without Architects, publié en 1964. Il nous y montre des greniers en Galicie et explique que ces greniers représentent le phénomène culturel du voyage et de la migration car ceux-ci avaient été imposés par les Celtes en Galicie.

L’idée que nous poursuivons est donc de montrer comment ces dispositifs sont utilisés dans nos bâtiments. Par exemple, cet immeuble de bureaux, on l’a réfléchi pour essayer d’y favoriser un certain rafraîchissement thermique, nous avons ainsi installé de grands brise-soleil.

Ils sont très grands (2m de long), mais génèrent suffisamment d’ombre pour faire en sorte que le bâtiment ne chauffe pas trop et reste tout à fait confortable tout au long de l’année. De plus, on peut désormais installer des balcons sur les bureaux. Cela amène donc une dimension presque domestique. On change le mode de vie, puisque désormais, chaque étage dispose de balcons, on peut donc sortir sans descendre au rez-de-chaussée. L’outil qui était à la base climatique devient véritablement un outil à vivre, plus sensuellement avec l’atmosphère.

Le second projet présenté est celui d’un immeuble à Lyon,  en structure de bois de 9 étages. Au départ, le bois était visible, toutefois, les différentes doctrines et exigences sécuritaires, notamment liées aux risques d’incendies, ont obligé à y renoncer. Ayant toutefois anticipé ces obligations, nous avons opté pour une seconde stratégie qui était de mettre du bois là où pouvait le faire, c’est-à-dire les menuiseries et les volets.

Nous avons donc travaillé autour de l’idée de mettre en scène des volets en bois, roulant et qui reprennent un élément vernaculaire qu’on retrouve souvent à Paris sous forme de nattes. Des éléments retrouvés également dans les pays plus chauds. Ils permettent de ne pas occulter la lumière sans faire entrer la chaleur. Ils permettent aussi la nuit une ventilation tout en ayant fermé son volet.

Un autre projet concerne le siège du CSTB, Centre Technique Scientifique du Bâtiment, dans lequel nous avons proposé un changement de culture en rapprochant des éléments naturels. Nous avons transformé ce centre en installant trois jardins. Dans l’entrée, a été installé un petit élément en bois. C’est une serre orientée plein Est protégée par une maille métallique perforée.

Les toits ont une forme inversée pour pouvoir récolter l’eau, qui est acheminée par des descentes jusqu’au rez-de-chaussée où nous avons prévu des plantes en pleine terre. Ce sont des outils qui répondent à la question de l’esthétique et du réchauffement climatique. Avec des nouveaux éléments nous changeons l’aspect de ce bâtiment en le faisant changer de génération.

Nous avons aussi travaillé sur l’élément du soleil lors d’un projet architectural lié à un centre culturel local, en proposant de fabriquer une ombre. Ainsi le bâtiment est à l’abri du soleil, tout en gardant l’apport en lumière dans ce bâtiment très sombre ; des patios avec de grandes voiles de métal perforées ont été prévues à cet effet.

Concernant l’élément de l’air et du vent, dans un autre projet en Suisse, à l’université de Neuchâtel, entièrement recouvert le bâtiment d’un élément très présent en Suisse, qui est le brise-soleil orientable. Tout cela est piloté par une centrale. En fonction de la météo, les ouvertures et les fermetures sont gérées automatiquement.

Concernant l’élément de l’eau, nous avons notamment les toits en pente qui ont un peu disparu avec le mouvement moderne, bien que cela soit un élément important. Nous avons un immeuble de logements dans lequel nous mettons en scène le parcours de l’eau pour l’amener, à travers le collecteur et la descente d’eau, à des réservoirs ; permettant par la suite de pouvoir arroser le jardin avec l’eau de pluie.

Enfin, l’élément de la terre, dans notre vision architecturale, est parfaitement illustré par l’idée du patio. Celui-ci est par exemple présent dans un projet situé dans la périphérie de Lyon ; le réaménagement d’un conservatoire. Nous y avons proposé de fabriquer un espace public intérieur permettant aux familles de se retrouver.

Nous avons aussi travaillé sur la question de l’inertie, pour une salle de concert à Calvi, en Corse. Nous avons proposé de travailler en béton de site, donc du béton mélangé à la terre du site. Cela permet de faire un bloc qui soit à la fois un bloc d’inertie, où il fasse frais, et aussi un bloc qui permette de gérer l’acoustique du bâtiment.

Cette idée de dispositifs climatiques nous permet de réinventer notre relation à l’environnement, avec l’ambition de générer et d’accueillir nos activités, de retrouver de la sensualité avec le climat ; parce que si nos évolutions ne sont pas un plaisir et une nouvelle sensualité à inventer, nous ne réussirons pas à convaincre les habitants et la société pour lesquels nous œuvrons.

(01:24:09) Bureau Truwant + Rodet : Charlotte Truwant

Avec Dries Rodet, et nos collaborateurs, nous nous sommes intéressés à cette question du changement climatique à travers le prisme du temps et de l’incertitude.

Bien entendu, on n’est pas là pour nier la question du réchauffement climatique, et c’est peut-être une illusion de croire qu’avec l’architecture, nous allons pouvoir résoudre ce problème, mais en tout cas, on peut essayer d’en parler, d’amoindrir ses conséquences. Ce qui est aussi intéressant dans cette question climatique, c’est la prise de conscience d’un environnement trop complexe pour qu’on se perde à faire des prédictions. Cette complexité est donc loin d’être un obstacle ; elle constitue un potentiel, elle révèle la densité, la variété des paramètres qui conditionnent les milieux dans lesquels nous intervenons : le soleil, le vent, l’humidité, l’ombre, la pollution, l’altimétrie, la saturation de l’air, la faune, la flore, l’hydrographie, la géologie, mais aussi l’économie, la politique, les attentes sociales. Ce sont tous des facteurs qui forment un réseau d’interrelations qui dépasse la logique linéaire de cause à effet. Ils appellent à une approche plutôt écosystémique ou systémique dans laquelle l’architecture ne va pas s’imposer au territoire, mais elle s’y inscrit.

C’est dans cette optique que nous posons la question de l’esthétique en interrogeant la qualité d’une architecture qui ne cherche plus à proposer des solutions, mais faire face à une condition instable et changeante en constante transformation. Et c’est cette tendance à toujours chercher des solutions qu’on questionne beaucoup, d’ailleurs ; une thématique dont on pourrait parler plus tard et qui reprend l’idée d’un “wicked problem” (problème pernicieux).

Plus on crée de solutions, plus on crée de problèmes. Est-ce que l’architecture doit être une discipline qui cherche des solutions… ou est-ce que cela peut être aussi autre chose ?

Cette question de changement et de transformation de notre environnement est justement là où nous voulons porter notre attention. Et c’est vrai, la question de la transformation est arrivée un peu plus tôt par des commissions, des commandes qui nous invitent à ne travailler que dans la transformation. Ce qui nous a beaucoup aidé pour l’aborder, c’est la question du paysage.

Notre expérience sur la question du territoire et du paysage nous a permis de comprendre le projet de transformation au travers du regard du paysage, c’est-à-dire en valorisant les changements, en comprenant le territoire afin d’apporter une lecture critique. Cela nous permet de comprendre le contexte initial et de saisir qu’on peut y donner une valeur et que ce territoire puisse acquérir justement une nouvelle valeur, non pas par attachement nostalgique, mais en tant qu’objet déplacé, porteur d’histoire et de potentialité. Cette mise en valeur des processus de changement, de transformation implique de reconnaître les différentes temporalités d’un site ou d’un espace. Valoriser ce qui est déjà là, c’est aussi intégrer le temps à la question de l’esthétique, c’est refuser l’idée d’une architecture qui est achevée, qui est close sur elle-même, mais c’est faire du projet un processus évolutif, itératif.

Dans cette perspective, nous envisageons le temps comme un matériau à part entière, un matériau immatériel, mais déterminant, qui rend possible l’adaptation des formes. Cela nous amène ainsi à penser le temps non pas comme une contrainte, mais comme un composant actif du projet, un matériau invisible mais structurant.

À travers cette approche, nous nous intéressons au cycle de vie des systèmes architecturaux, comment ils se forment, se dégradent, persistent ou se régénèrent. Nous posons alors des questions simples, mais fondamentales. Est-ce que l’architecture peut évoluer comme un paysage ? Est-ce qu’elle peut s’adapter ? Est-ce qu’elle peut grandir, se transformer, disparaître en fonction des conditions ? Et surtout, est-ce qu’elle peut mobiliser le temps et le changement pour devenir plus résiliente ?

L’architecture est souvent présentée en dehors de son contexte, où il y a une grande histoire de l’idée d’objectiver l’architecture, en mettant l’objet sur un piédestal. Mais lorsque nous élargissons notre vision, pour prendre en compte des considérations géographiques, écologiques et historiques, nous commençons à percevoir les relations complexes entre les bâtiments et leur environnement. Le bâti fait partie intégrante d’un système. On peut parler d’écosystème, mais on n’implique pas toujours le vivant. Le bâti est influencé par le contexte de façon cyclique.

Nous nous projetons dans le futur immédiat. Nous utilisons des outils, pour représenter ces différents systèmes, pour représenter le temps et cet imaginaire. Ça donne l’occasion, justement, de raconter ces récits successifs, de raconter un peu toutes les histoires d’un territoire.

Le projet de transformation, c’est donc de savoir comment travailler avec, l’interpréter, le transformer et parfois soustraire le contexte existant dans lequel nous œuvrons.

Il ne s’arrête pas au seuil du bâti, mais notre expérience du paysage et de la transformation nous a amenés à inverser les mécanismes de lecture de l’environnement. Nous considérons donc l’architecture, non pas comme cet objet dont je parlais, mais comme un ensemble qui fait un tout avec le paysage, l’histoire et le climat. La question de la lecture, elle est primordiale, et ça commence par la lecture d’un territoire, pour être en capacité de voir ses qualités.

Dans le cadre d’un concours à Zurich, nous avons conçu un plan de masse. Dans le cadre d’un plan de masse, ce n’est pas seulement la question des volumes et donc des espaces conséquents à cet arrangement qui compte, mais c’est aussi la prise en compte des fonctions, des usagers, des structures dans lesquelles on s’implante ; en d’autres termes de la topographie, du paysage, du contexte économique.

Il s’agit plutôt de définir des paramètres qui permettent de se développer dynamiquement dans le temps, de pouvoir permettre cette adaptation, que ça soit une flexibilité dans l’usage, mais aussi dans la façon dont on va aborder la question du quantitatif. Et l’idée d’incertitude, c’est quelque chose avec lequel on aime travailler, mais qui est bien entendu tout à fait contraire au modèle économique dans lequel on se situe qui génère plutôt des tensions.

Ça devient une sorte de jeu habile de négociation entre des promesses qui ne seront pas tenues et, en même temps, l’intervention qui doit s’ancrer dans le présent et permettre un développement dans le futur. À Zurich, nous avons travaillé sur un deuxième projet de transformation, un concours pour la rénovation temporaire de deux bâtiments industriels qui vont être transformés en piscine pour une école. Ces bâtiments, ils occupent une position stratégique le long d’une rivière, la Limmat.

Dès le départ, le programme du concours prévoyait un usage exclusivement sportif et ne prévoyait pas de laisser une place aux collectifs qui pouvaient investir les lieux. Cela nous a amenés à repenser le projet, à compacter davantage l’infrastructure sportive pour libérer de l’espace et poser la question de la superposition des espaces, des usages.

Est-ce qu’une piscine peut aussi devenir un lieu public, partagé avec des collectifs ? Est-ce qu’on peut éviter de figer les bâtiments dans une seule fonction ? Les imaginer de façon plus ouverte ? Et comment ajouter un nouveau programme ?

Le nouveau programme devient donc une opportunité, on le voit un peu comme un collage successif qui raconte aussi l’histoire d’un lieu et qui rajoute une nouvelle couche sans forcément effacer ce qui s’était passé avant. La question de l’esthétique en lien avec le changement climatique revient souvent chez nous aussi comme mode opératoire dans la façon, de la soustraction, c’est-à-dire faire avec l’existant, enlever plutôt que d’ajouter.

Pour le Dhaka Art Summit au Bangladesh, en collaboration avec une équipe locale de commissaires, chercheurs et architectes, nous avons consacré une grande partie du processus de conception à élaborer un nouveau récit afin de changer la perception des usagers et des commanditaires qui détestaient le bâtiment au départ. Les foires d’art figurent parmi les plus grandes sources d’émissions de carbone au monde. La scénographie représente environ 77 % de ces émissions, en grande partie à cause de l’utilisation de panneaux de particules. Nous avons donc proposé de réorienter les investissements vers ce qui est durable, réparer les sanitaires, les balustrades et laisser les murs et fenêtres ouvertes, invitant ainsi les artistes à travailler de manière contextuelle dans un espace dont la température n’est pas conforme aux normes classiques de conservation de l’art.

Cela a déclenché de nouvelles œuvres, de nouvelles collaborations dans des conditions climatiques différentes, tout en permettant à chacun d’avoir accès à l’intérieur et d’ouvrir cette foire au plus grand public.

Pour revenir à cette question du paysage, c’est ce qui nous intéresse au travers des projets, des attentes et de ce qu’on développe dans l’enseignement. Est-ce qu’on peut penser l’architecture comme le paysage, comme un dispositif qui pourrait évoluer dans le temps ?

Une architecture qui pourrait générer des potentiels ou qui pourrait générer des conditions changeantes ? Cette idée d’une architecture qui ne serait pas rigide et qui serait capable de faire face à des conditions imprévisibles, de climats, de mouvements de population, de besoins incertains. Une forme d’architecture qui peut absorber ces variations et ces incertitudes.

La question de savoir quelle forme cela prend, quelle esthétique découle de ces conditions incertaines, on ne peut vous apporter de réponses claires et uniques. Cela ne nous intéresse d’ailleurs guère, mais c’est toutefois le champ dans lequel on travaille, c’est le champ dans lequel on expérimente. Une architecture qui pourrait être flexible, imprévisible, qui pourrait procurer des occasions de croissance et de contraction, qui pourrait s’ouvrir à de nouveaux usages.

Un projet qui peut illustrer cette recherche est un projet pour une infrastructure de captation de l’eau avec une grande fontaine d’une longueur de 69m. Elle est située dans un parc non loin de l’autoroute, à Lausanne. Nous proposons cette nouvelle fontaine comme un élément central du campus qui s’organisera ; une construction qui emprunte certains codes à la mythologie. C’est en l’occurrence une référence au mythe de la fontaine de Jouvence, où l’eau occupe une place prépondérante dans ce parc. La fontaine de Jouvence, c’est une légende fréquemment mobilisée qui reflète la fascination de l’homme pour l’eau, une fascination que nous avons aussi eue.

Cette fontaine est composée de plusieurs éléments : une source, un ruisseau, une rivière et le réservoir. Au travers de ces différents éléments, on a mis en place des conditions, que ce soit dans le traitement de la matière, dans l’inclinaison, dans l’orientation nord-sud, dans les sols et le type de terre que l’on utilise aux abords, pour générer ou pour favoriser la prolifération de mousse, de certaines plantes qui vont être plus à même de grandir dans ces milieux plus humides, de voir aussi que l’eau puisse avoir différents états ou même de faire varier ses débits. Tout cela est un système de captation de l’eau de pluie, cela ne marche donc qu’avec de l’eau de pluie.

Et c’est tout un cycle, finalement, qui permet de capter cette eau de pluie et de la faire circuler sur le terrain ou de la ré-infiltrer lorsque cela déborde dans la nappe phréatique. C’est cette idée des différentes conditions que l’on cherche à créer en changeant subtilement certains paramètres dans le projet, tout en ajoutant cette couche qui nous intéresse et qui intéresse Fabien Marty, l’artiste avec qui on a développé ce projet. Un point important est aussi cette question de la mythologie, le fait qu’il y a toujours un narratif dans un projet, que ce ne soit pas simplement une infrastructure, mais il y a aussi des histoires à raconter derrière. On retrouvera ainsi, comme précédemment évoqué, le long de cette infrastructure des éléments symboliques emprunts de la mythologie.

Cette notion de condition prend une toute autre forme dans cet autre exemple, une petite salle de bain humide au sud de l’Allemagne dans une maison des années 1960.

Au lieu d’agrandir la pièce, la salle de bain est devenue une opportunité pour une rénovation énergétique qui a permis de transformer l’usage de l’espace et de complètement transformer la maison, parce que cette salle de bain est orientée au nord. La mise en place de cette rénovation énergétique, se faisant par le percement de cette façade, va ouvrir un espace vers la topographie, plus précisément vers la colline. Cela permet de ventiler la maison et d’amener de l’humidité.

Pour finir, nous aimerions vous parler d’un dernier projet, une rénovation de bureaux à Balles. Ce n’est pas forcément la notion de la technique qui nous intéresse, mais elle renvoie à cette question de l’esthétique vis-à-vis du changement climatique et le fait que celui-ci induit constamment le changement de normes et de techniques.

Pour tous les projets de rénovation, nous devons remettre aux normes les espaces, ce qui implique de devoir démonter entièrement des systèmes de ventilation, dans lesquels tout notre budget serait, bien entendu, passé. Or nous avons retourné cette situation. Nous nous sommes mis d’accord avec le client de changer l’usage de la ventilation, ou du moins d’accepter d’avoir un système de ventilation différent dans l’espace. Cette contrainte devient donc finalement une opportunité, devient l’espace du projet.

On superpose, finalement, toutes ces couches, et à nouveau, on révèle des couches qui étaient déjà là, et pour nous, c’est toujours assez important de toujours partir d’un constat, d’un espace existant et de révéler ce qui est là et de rajouter des nouvelles couches au projet.

(01:44:12) Table ronde et discussion. Modérateur : Emmanuel Caille

(01:44:47) Emmanuel Caille

Merci à tous ces architectes pour ces présentations assez brèves. La question que Sana Frini et Philippe Rahm posent pour cette soirée est réellement une question cruciale.

Je crois qu’il y a peu de moments dans l’histoire de l’architecture où on s’est posé autant de questions qui remettent autant en cause l’architecture.

Vous avez effectivement tous abordé la question du climat, des ressources, de la réhabilitation ou même de la transformation. Et ce serait intéressant de terminer sur la question de l’incertitude, parce qu’effectivement, le climat, ce n’est pas seulement plus 4 degrés ; c’est une thématique bien plus large qui ne se limite pas à la seule question de la température.

Plusieurs questions se posent donc : comment trouver des solutions à ce défi ? Devrait-on en revenir à des solutions non pas vernaculaires, mais d’une première modernité ? Quelle esthétique une telle remise en cause peut-elle produire ?  A t’on réellement besoin d’une nouvelle esthétique ?

(01:50:00) Stéphanie Bru

Ta question est très bonne et difficile, et je ne sais pas si cette problématique change l’esthétique par rapport à nous.

Je n’ai pas un rapport très pessimiste par rapport à cette question du changement climatique. Et je me dis que quand on regarde dans toutes les références, que ce soit anciennes, même dans la modernité, et même encore plus loin par rapport à Palladio, on a beaucoup d’exemples qui sont déjà là, dont on peut s’inspirer, ou qu’on a déjà oublié.

Par rapport à la question de l’esthétique, est-ce que cela change quelque chose dans notre architecture ?

Oui, forcément. Cela change parce que les matières, les conditions, les objectifs, qui nous seront donnés pour vivre mieux, et pouvoir se protéger de cette différence de climat, induisent des solutions qui sont différentes, que peut-être je ne connais pas encore pour l’instant. C’est d’ailleurs pour cela qu’on s’y intéresse tant à l’Agence.

C’est un projet aussi qu’on développe également avec Adrien, “la Chapelle Charbon”, où les objectifs sont assez importants par rapport aux questions du bas carbone, du biosourcé, etc. La question est aussi de savoir ce que cela induit sur la spatialité.

On se pose plus de manière récurrente la question clé de l’assemblage, de savoir comment regarder notre passé et les solutions qui ont déjà été présentées. C’est précisément cela que j’apprécie avec les projets de base ; on n’y réinvente pas des objets ou éléments architecturaux, on les réintroduit plutôt dans une autre direction, en permettant de créer une esthétique intéressante.

(01:53:23) Emeric Lambert

Je me demande s’il ne faudrait pas situer la question dans la commande qu’on nous donne. Fut une époque, vernaculaire ou pas, où les architectes étaient des concepteurs reconnus qui travaillaient en direct avec la mise en œuvre. Aujourd’hui, on nous demande d’atteindre des objectifs et donc d’assembler des produits, une tâche qui est très difficile. Aujourd’hui, on nous demande avant tout d’atteindre des labels, des normes, ce qui complexifie considérablement notre tâche.

Notre mission est donc désormais de réussir à dominer tous ces éléments qu’on nous demande d’assembler pour réussir à fabriquer quelque chose de plus intéressant qu’un simple assemblage de normes et d’éléments à satisfaire.

(01:55:27) Sana Frini

Une question me vient pour toi Eric. Considères-tu que l’on devrait promouvoir un changement des réglementations ?

Au lieu de commencer par l’esthétique, il faudrait ainsi plus considérer une transition architecturale permettant de contourner ces réglementations.

(01:56:46) Eric Lambert

Deux idées me viennent en tête concernant cette question.

La première serait d’essayer d’utiliser ces exigences et ces contraintes techniques et d’en faire des chevaux de Troie pour réussir à faire passer notre projet initial, de ne pas corrompre son essence même.

Concrètement, cela reviendrait à dire que nous sommes d’accord pour concevoir des projets qui remplissent les exigences réglementaires, mais pour le faire, nous utilisons des techniques et éléments auxquels les demandeurs de projets ne s’attendent pas.

Dans un second temps, nous devons être prêts à dire aux gens, qu’ils vont vivre dans un confort qui n’est pas tout à fait le même que celui du pavillon idéal et rêvé, mais que toutefois ils jouiront d’un nouveau plaisir conçu différemment, et ce à un budget plus raisonnable.

Les diverses réglementations et normes sont donc pour nous une réelle contrainte, il est vrai que lorsque nous avons une commande institutionnelle, le projet met du temps à passer aux étapes suivantes en raison des diverses validations nécessaires.

En conséquence j’ai donc l’impression qu’aujourd’hui la liberté architecturale réside dans la transformation de projets.

(01:58:53)  Charlotte Truwant 

Il est vrai que nous avons eu accès à des commandes plus petites au début, et que le rapport que l’on peut avoir avec un client privé ou des plus petites commandes est différent ; il est plus facile lorsque ce sont des rapports directs.

On le voit par exemple à Paris, en ce moment dans le Centre Culturel Suisse où nous sommes loin des exigences qui s’imposeraient à un théâtre s’il était construit neuf.

Et justement, cela nous permet de montrer que les questions de confort restent finalement suggestives.

Il faut donc voir ces contraintes comme étant des opportunités.

La question de composition, de matérialité, reste t’elle aussi importante dans notre travail. La question de matérialité est parfois complètement décorrélée de questions climatiques.

(02:01:49) Philippe Rahm

J’ai de plus une réflexion à apporter sur le terme de machine que tu utilisais en disant “ça devient un peu des machines”. Je me suis posé la question, si justement, c’était là, quand on traite quelque chose de “machine”, qu’il y a une nouvelle esthétique qu’on ne connaît pas. On parle de “machines” parce que cela ne correspond pas à une beauté qu’on a déjà identifiée. Toutes les esthétiques nouvelles pourraient être qualifiées de machins ou de machines parce qu’à un moment donné, on ne les comprend pas.

(02:02:55) Stéphanie Bru

Je ne sais pas si c’est cela qu’il faut remettre en question, c’est positif d’être toujours plus performant. Cela dépend aussi de nos partenaires : les projets ne dépendent plus seulement de l’architecte seul.

(02:04:11) Question du public

J’ai une question. Vous avez tous travaillé dans les deux pays, en Suisse et en France, comment voyez-vous la différence architecturale en lien avec le changement climatique dans le contexte culturel ou professionnel. Comment réagissent ces deux pays au changement climatique?

(02:04:55) Adrien Meuwly

Je pense qu’il y a effectivement des différences, mais nous vivons tous le même changement climatique. Ce qui est intéressant, c’est que nous avons tous plus évoqué de dispositifs que de machines. Peut-être que c’est aussi ce genre de dispositifs qui fait qu’on parle d’architecture similaire, que ce soit en Suisse ou en France.

Je pense de plus qu’il existe une grande différence dans la manière de mener un projet d’architecture et dans la législation dans les deux pays.

Nous suivons des règles un peu plus subjectives, qu’on doit prouver, qu’on doit modéliser. En tout cas, dans l’expérience qu’on a eue, il y a moins de tests scientifiques expérimentaux qu’on peut utiliser pour mettre en œuvre des nouveaux dispositifs. Tout ça pour dire que je pense que le réchauffement climatique entre les deux pays est le même, et les dispositifs mis en œuvre sont assez similaires.

(02:07:22) Stéphanie Bru

En lien avec cette question, nous, ce qui nous intéresse, c’est la transversalité programmatique.

Lorsque nous avons commencé notre agence, les jeunes agences étaient retenues sur les concours de logement. Là nous nous sommes rendu compte que c’était vraiment une autre culture, notamment des entreprises ; en d’autres termes une autre mentalité qui était prônée. Il y a toute une technicité qui était plus intéressante que sur les logements.

Ce qu’on essaie de montrer à travers notre travail c’est aussi un certain indéterminisme pragmatique. On nous a souvent reproché de faire des logements similaires à des bureaux. Au début, on l’a mal pris, mais en fait, c’est aussi un compliment parce que justement, ça justifie un peu cet indéterminisme programmatique, c’est-à-dire que le bâtiment peut évoluer dans le temps.

Par exemple, sur le projet de la cité universitaire, ils veulent déjà changer les partitions des chambres parce qu’ils vendent moins de T2. Cette adaptabilité fait qu’un bâtiment est plus pérenne.

(02:10:00) Emmanuel Caille

Je trouve ce mot d’incertitude très stimulant. Et il m’est revenu en tête une lecture que j’ai faite grâce à Philippe, Les délices du feu d’Olivier Jandot, qui est l’histoire du rapport des habitants avec la chaleur, avec le feu du Moyen-Âge jusqu’à aujourd’hui. C’est un livre que je vous conseille.

Auparavant, les gens, l’hiver, sortaient quand il y avait du soleil car il faisait plus chaud dehors à une température de zéro degré. Aujourd’hui, on veut vivre avec 20 degrés en hiver et 20 degrés en été. ce souhait des habitants nous oblige parfois à proposer une climatisation pour trois jours de canicule et induisent des dépenses de centaines de milliers d’euros.

(02:12:38) Stéphanie Bru

C’est toujours comment on pose la question. C’est vrai que cette question du 20 degrés est calculée sur un homme grand comme toi. La chaleur est un sujet très sensible.

Construire, c’est vraiment le travail d’équipe primordial, il faut être pédagogue avec le client.

(02:13:40) Gilles Delalex

Je suis assez d’accord avec la réponse. Cela dépend de la question. Si on pose la question “quelles esthétiques avez-vous tirées des contrats climatiques ?”, il n’y a que des réponses différentes.

Quand je mets du béton, je ne mets pas du béton bas carbone strictement parce qu’il est bas carbone. Je veux dire, peu importe. On aurait fait le même projet. C’est bien qu’on arrive à l’utiliser, mais c’était surtout le meilleur matériau à cet endroit-là pour cet usage-ci. Et si on posait la question du changement climatique comme une opportunité et pas comme une contrainte, ce serait plus facile de répondre aux normes ; une norme, ça se change. Un standard, c’est une chose qui s’est fabriquée par adoption. Il n’y a rien de rigide dans tout là-dedans.

(02:15:51) Sana Frini

Je voulais justement aller dans ce sens-là. D’ailleurs, j’aimerais bien que, Nicolas, tu te positionnes là-dessus, parce que tu as mentionné quelque chose qui était assez intéressant dans ta présentation, qui était de faire une petite relation entre la résilience climatique et l’inertie climatique, c’est-à-dire la résilience thermique et l’inertie thermique. J’ai trouvé cette association très intéressante, parce que justement, c’est l’adaptation par rapport à quelque chose et que tu le présentes comme une possibilité, comme quelque chose de positif, comme quelque chose avec lequel on peut jouer. Et c’est aussi pour ça que j’avais commencé par parler de répétition vers ce qui est réglementé. Je ne parle pas des règles, je ne parle pas du système.

Vous avez aussi mentionné l’idée qu’on est en train de travailler avec d’autres limitations par rapport aux constructeurs. Donc, on revient encore aux règles qui se sont imposées pendant une certaine période en France, et qui ont peut-être fait réagir en essayant de se protéger ou se censurer.

Ce que j’aime dans le travail qu’on a vu aujourd’hui, par exemple celui de Nicolas, c’est qu’il part de cette connexion entre le naturel et l’artificiel, non pas comme deux mondes ennemis, mais comme une réadaptation de deux éléments l’un par rapport à l’autre. La question est : avez-vous peur aujourd’hui de ne plus rentrer dans la norme à la mode ?

C’est une question ouverte. On n’est pas obligé d’y répondre. Et la deuxième question est : lorsque l’on parle des “machines », peut-on y voir des solutions qui peuvent être climatiques. Peut-être qu’on est en train de parler d’une génération de transition, qui est en train d’essayer de s’adapter.

(02:18:24) Nicolas Dorval-Bory

Pour parler de cette question de résilience, je la vois de manière assez personnelle. Je dirais que n’importe quel bâtiment, du fait même qu’il soit constitué de masse, a cette capacité de résilience.

Je ne sais pas si ça veut dire qu’il faut construire plus de choses massives ; je dirais qu’il s’agit plus de mon regard que d’une réalité. Mais c’est ce que je trouve aussi être une opportunité dans la réhabilitation ; ce sont des structures qu’on réhabilite. Elles ont cette capacité à accueillir de nombreux usages, et puis elles ont cette capacité à conserver l’énergie.

Pour ces deux raisons, il ne faut pas essayer de faire quelque chose avec et il ne faut pas les détruire. Les esthétiques émergent de la rencontre d’objets qu’on met en relation entre eux. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de choses dont on parle ce soir qui sont liées à ça. On peut se dire qu’on a 30 ans de retard par rapport à l’art… L’architecture a toujours peut-être un peu de retard. Mais les esthétiques dont on parle sont beaucoup liées à ça.

Une deuxième chose qui me semble importante concerne ces questions de normes et de contraintes. On évolue dans des situations financièrement et réglementairement limitées. Face à quelque chose qu’on nous impose, la seule échappatoire, ce serait de se conformer aux règles, et de savoir proposer quelque chose qui sort de la commande. Mais comment proposer quelque chose en plus ?

J’ai en tête la serre de la maison Latapie, qui a une structure très économe et rend plus accessible la maison fermée. La proposition prend des langages qui sont ceux de l’économie, et je pense que c’est dans un contexte de contrainte qu’on va proposer des choses et pour les proposer, on est obligé de se soumettre à des contraintes additionnelles. On a en conséquence des sortes d’esthétiques qui sortent de ces situations, qui sont encore une fois des résultats et non des objectifs.

Je suis aussi surpris parce que j’ai l’impression qu’il y a encore beaucoup de choses qui auraient pu être dites sur les questions esthétiques. Quand j’étais étudiant, on nous interdisait de parler de Lacaton Vassal, sous prétexte que ce n’était pas beau. En fait, c’est assez étrange, parce que nos enseignants n’avaient pas d’autres arguments pour justifier pourquoi il fallait ne pas les aimer. “Pourquoi n’est-ce pas de l’architecture ?” La seule chose qu’ils disaient, c’est que ce n’était pas beau. Donc, c’était une question esthétique qui émergeait, alors que c’était puissant intellectuellement.

(02:23:45) Sana Fridi

Je pense que c’est un point très intéressant par rapport à ce que tu viens de mentionner pour Lacaton Vassal. Certains d’entre nous partent de la structure et répètent un système. En réalité, avec Bast, par exemple, on revient vers un mélange d’économie des moyens et de réactions à un écosystème qui est en train de changer.

(02:24:41) Remarque du public

Ce n’est pas une question que je pose, c’est une proposition pour une adaptation de l’architecture au changement du climat. Que tout étudiant en architecture fasse au moins un mois de stage dans un pays où il fait plus de 40 degrés. Ça serait un Erasmus pour les architectes.

(02:25:12) Sana Fridi

Effectivement, nous, au Mexique, avons énormément besoin de gens qui veulent expérimenter. Donc, vous pouvez soumettre vos candidatures quand vous voulez.

(02:25:30) Philippe Rahm

Nous allons conclure. Je vous remercie pour vos présentations.

Je remercie aussi le Centre culturel suisse qui a participé à l’organisation de cet événement. J’aimerais dire que cette question esthétique est effectivement intéressante par rapport à notre exposition, qui démontre que tout une esthétique est née de la perspective d’un nouveau climat.

On peut observer ces bâtiments construits qui présentent tous des persiennes, des couleurs permettant de conserver la température, des éléments qui n’ont pas été réellement décidés par les architectes eux-mêmes, mais par le climat. Je pense qu’il y a une forme de vexation derrière ça. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de génie architecte qui imagine des choses tout seul ; il les a imaginées selon un climat tempéré. Je pense que le changement climatique va nous faire regarder vers le Sud. On va avoir une architecture qui peut se méditerranéiser, se tropicaliser à Paris, en Suisse, et dans ces climats tempérés qui viennent.

J’invite tout le monde à visiter notre exposition. Je remercie Emmanuel Caille pour la modération et l’ensemble des participants et vous, le public. Merci beaucoup.