Terres de découvertes
Animé par Marie-Hélène Contal avec Rozana Montiel (architecte mexicaine invitée), Boonserm Premthada (architecte thailandais invité), Jana Revedin (architecte et urbaniste, commissaire de l’exposition « Terre ! Land in sight !).
Le défi climatique et urbain vu par deux architectes étrangers et la commissaire de l’exposition « Terre ! Land in sight ! »
Marie-Hélène Contal : Nous ne sommes pas très nombreux, c’est très bien parce qu’on va pouvoir converser plus librement avec vous, avec deux architectes qui viennent de très loin pour nous apporter leur expérience. Rozana Montiel, vous êtes architecte à Mexico, très engagée dans l’habitat social, dans la requalification de quartiers sociaux. Vous êtes aussi enseignante, théoricienne. Vous vivez entre les États-Unis et le Mexique et vous avez réalisé un des pavillons de l’exposition dont je dirai quelques mots avant de donner la parole à Jana Revedin.
Boonserm Premthada vous êtes un architecte Thailandais, vous avez fait vos études et vous enseignez à Bangkok. Vous avez réalisé un pavillon dont on parlera tout à l’heure. L’un comme l’autre vous êtes lauréats d’un prix international créé en 2006, le Global Award for Sustainable Architecture à la Cité de l’architecture et du patrimoine lorsque François de Mazières, maire de Versailles, en était président.
Ce prix a été créé par Jana Revedin, architecte, enseignante en France, actuellement à l’École Spéciale d’Architecture. Ce prix récompense, non pas des stars de l’architecture, mais des architectes qui s’engagent dans l’architecture durable.
Je tiens à rappeler qu’en 2006, personne ne savait en France ce que voulait dire « architecture durable » ou « architecture écologique », c’était avant le Grenelle de l’Environnement, qui a commencé à changer les choses. Il a fallu du courage pour commencer à expliquer aux architectes, et aussi à tout le monde, que la transition écologique et climatique allait arriver, que cela allait être quelque chose de fort. En France aujourd’hui, on a compris, on connaît des étés difficiles, des îlots de chaleur, mais à ce moment-là, ce n’était pas encore le cas.
Lorsque Madame Pécresse a souhaité, pour la deuxième biennale d’architecture et de paysage, qu’une section internationale soit créée, que la biennale s’internationalise, elle a dit encore vendredi, elle a pensé à Jana Revedin. J’ai eu le plaisir d’être co-commissaire de cette exposition, en tant que directrice à la Cité de l’architecture et du patrimoine. Nous avons donc décidé de faire venir trois architectes étrangers à Versailles, dans l’idée d’aller dans des régions où vraiment la rupture climatique et écologique est beaucoup plus importante qu’en France. En effet, au Mexique, en Thaïlande, il faut vraiment inventer. Ce n’est plus dans vingt ans, c’est fait. Les étés à 50°C, c’est fait, c’est maintenant. Et les conséquences sociales sur la ville sont énormes. Madame Pécresse l’a également dit : la transition climatique est une question sociale pour les élus, car cela touche les moins favorisés. C’est aussi un problème qui se pose en France et qui se pose déjà dans des pays plus au sud, en termes de climat.
Je vais maintenant passer la parole à Jana Revedin, pour qu’elle explique, au sein de cette communauté d’architectes lauréats du prix international d’architecture durable, pourquoi elle a invité Rozana Montiel et Boonserm Premthada, ainsi qu’Ammar Khammash, qui est Jordanien. Pourquoi on s’est lancé dans l’aventure folle de faire des pavillons à l’échelle 1, et finalement, quelles innovations ils ont décidé d’apporter ici.
Jana Revedin : Merci Marie-Hélène Contal, merci Rozana Montiel et Boonserm Premthada pour le temps que vous donnez à la biennale de Versailles. On a passé une semaine entière déjà ici, entre l’ouverture, les journées de presse et les conférences. Merci à vous tous d’avoir trouvé le temps un dimanche matin, après la Nuit des musées, de venir nous voir et nous écouter. Ce matin, nous allons engager un dialogue car les conférences sont encore devant nous ; demain soir, Rozana Montiel tient une grande conférence à Paris, à la Cité de l’architecture et du patrimoine, partenaire de la biennale de Versailles.
On va vous parler de ces deux architectes, qui ont eu la générosité de venir ici. Ils ont deux agences qui marchent très fort, ils ont beaucoup de travail, donc encore plus merci pour ces nombreuses journées passées à Versailles. Merci à Ammar Khammash, le troisième architecte que j’ai choisi, d’exposer un autre pavillon à échelle 1 dans la Cour de Paris. Il viendra quand son projet de tour belvédère sera construit. Le retard est dû au désordre créé par la pandémie, beaucoup de bateaux sont arrivés en retard.
Qui a déjà vu la Cour de Paris ? Qui a déjà vu nos pavillons échelle 1 ? (Questions au public) Ah, c’est la découverte à faire aujourd’hui ! Cela ouvre à 11h donc on vous invite, après, à jeter un œil avec nous, avec les auteurs, pour répondre à vos questions, plutôt que de rester enfermés par une si belle journée.
« Terres de découvertes », c’est le thème que j’ai voulu pour cette première rencontre entre vous et nous quatre ce matin. Valérie Pécresse, qui a créé avec François de Mazières le nouveau thème de cette biennale, avec ses grandes thématiques « terre » et « villes ». Je suis proche de Valérie Pécresse, ainsi que d’entités comme l’Unesco ou l’UIA, l’Union internationale des architectes, Union qui a un lien direct avec le Grand Paris et la Société du Grand Paris. C’est là que j’ai connu Valérie Pécresse, dans des grands symposiums où j’étais invitée. Elle m’a dit : « Jana, tu dois nous amener le Monde à Versailles ! » Elle a dit le Monde, elle n’a pas dit l’Europe. Je suis Allemande et pour moi c’était déjà une grande douleur d’amener, peut-être, une vision un peu trop européenne à cette nouvelle et jeune biennale française. Mais Valérie Pécresse a toujours vu grand et j’ai dit que j’allais faire mon possible.
Ainsi, il faut aller loin, dans des terres de découvertes, loin de nos terres de découvertes européennes. J’ai amené des pavillons construits avec des nouveaux matériaux au sein de l’Union européenne, et par le New European Bauhaus, nous sommes en train de développer, dans trois grandes universités européennes, Stuttgart, Barcelone et Copenhague, des travaux sur les matériaux biosourcés infinis, c’est-à-dire que l’on peut reproduire à l’infini, ce qui est très intéressant. Si l’on veut avoir des expérimentations avec les matériaux qui vont être ceux de notre nouvelle génération d’architectes et d’étudiants. Par exemple, la cellulose projectée, c’est la terre projectée en 3D, avec une motorisation assez raffinée ou autre exemple, les fibres naturelles mais aussi mélangées avec des matériaux recyclés. Ainsi, des lignes de recherche portées par l’Union européenne, des recherches riches pour des pays riches. Il faut toujours savoir que cela ne sera pas adoptable par tous les pays, notamment par les pays qui ont peu de moyens technologiques. Il s’agissait de montrer ce que l’Union européenne est capable de faire et de le transmettre au monde.
Mais Valérie Pécresse a dit « on veut le Monde à Versailles ! » Donc j’ai pensé au titre « Terre ! Land in sight ! », à Christophe Colomb avec ses trois caravelles sur l’océan. On pense alors, cela fait 530 ans, que la Terre est une assiette. L’équipage pense tomber, il a peur d’aller au bout du monde, ce monde qui s’arrête quelque part. Et puis, à un certain moment, il voit des oiseaux. Colomb voit des branches et des morceaux d’arbres flotter sur l’eau. Un nouveau sentiment nait alors, celui d’un nouvel horizon. Enfin, un matin, un matelot hurle « Terre ! ». Et c’est ce moment de découverte, en entrant dans la Cour de Paris, que j’ai voulu offrir dans cette biennale.
Vous avez donc dans la Cour de Paris, trois pavillons construits avec des matériaux biosourcés que vous allez découvrir pour la première fois. Par exemple, Rozana a pour thème la lutte pour les océans et contre les plastiques que l’homme déverse. Elle se sert pour cela d’un symbole, le filet de pêche car la pêche est internationale et incontrôlée. C’est un message politique très fort qu’elle lance, comme toujours. Elle va vous montrer des couvertures de pavés en céramique faites avec le plastique récupéré par ces filets de pêche. Dans un projet qu’elle mène au Mexique, ces matériaux-là vont être réutilisés en grande quantité pour un parc et un centre social publics. C’est une grande leçon qui nous est donnée : comment on invente avec très peu de moyens ? Comment arrive-t-on à créer tout un ensemble d’expériences scientifiques et esthétiques ?
Boonserm Premthada fait une lutte politique tout à fait différente : il lutte pour le respect de tous les êtres vivants sur cette planète à l’exception de l’homo sapiens, qui se démontre très peu capable de protéger cette planète. On a commencé le travail pour la biennale, tous ensemble, les trois architectes et moi-même, par des workshops tous les lundis pendant la pandémie, comme un rendez-vous du soir, chacun dans sa maison, c’était pour moi comme la lumière de la semaine. À ce moment-là, Boonserm terminait son « monde de l’éléphant », un grand parc créé pour les éléphants thaï, qui sont tous protégés par un peuple local, par les « moines des éléphants » qui s’occupent d’eux et qui vivent avec eux. Ce parc comporte une espèce de labyrinthe, avec un grand cirque où les éléphants peuvent se montrer, et aussi, bien sûr, un musée sur la culture et l’histoire de l’éléphant.
Pour nous, il a eu une autre nouvelle idée rebelle. Il déclare que les éléphants eux aussi produisent des matériaux, leurs excréments, qui sont 100% à base de fibres. Dès lors, pourquoi ne pas inventer une brique avec et à travers cet élément-là ? Ainsi, la « brique de l’éléphant », pour la première fois au monde, vous allez découvrir cette brique qui est en phase d’expérimentation. Il va maintenant perfectionner ces briques et voudrait créer une économie circulaire parce que cela donne du travail aux artisans, pour, à la fin, voir un beau et grand bâtiment en Thaïlande, entièrement construit avec ces briques.
Marie-Hélène Contal : Merci Jana. Monsieur le Commissaire général, peut-on chambouler un peu la formule ? Comme nous avons la chance de ne pas être trop nombreux, est-ce qu’on ne peut aller directement sur le site et peut-être avant, quand même, demander à Rozana et à Boonserm de nous expliquer le processus qu’ils ont mis en place avec les habitants, avec la communauté, pour présenter les deux pavillons qu’on va aller voir ensemble ? Nous assurons la traduction sur le champ et ce sera formidable. Merci monsieur le Commissaire général de nous autoriser à sortir de l’auditorium, c’est tout près d’ici.
François de Mazières (dans le public) : Un très grand merci parce qu’effectivement, comme le disait Marie-Hélène Contal et Jana Revedin, c’est une aventure depuis des années. Elles ont créé ce prix (Global award for sustainable architecture) comme un Prix Pritzker environnemental et, à l’époque, j’étais président de la Cité de l’architecture et du patrimoine. Je me suis alors dit qu’il fallait tenter le coup. Ce qu’il s’est passé c’est que la Cité a soutenu pendant des années ce prix à la fois indépendant et exceptionnel.
Quand j’ai proposé de monter la biennale d’architecture et de paysage, je voulais vraiment que l’on pense la ville, que l’on pense l’avenir. Pour cette deuxième édition, j’ai proposé à Valérie Pécresse de mettre en valeur ce prix. Après, il y a eu une sélection qui a été effectuée par Jana et Marie-Hélène et elles ont sélectionné sur différents continents : l’Asie, les Amériques. C’est un bonheur, vous avez fait des choses magnifiques, merci infiniment.
J’avais dit à Jana qu’il y a un festival de théâtre qui commence dans un mois, alors je me suis dit, pourquoi ne pas faire quelque chose sur le théâtre ? Jana m’a fait ce petit cadeau. Merci Boonserm pour ce théâtre de l’éléphant, j’adore ça, le thème est génial tout de même. C’est très beau, en couleurs. Quand vous pensez excréments d’éléphants, vous avez un peu peur, alors vous allez voir ce que c’est, c’est ravissant.
Marie-Hélène Contal : Oui, c’est pour cela qu’on va y aller, parce qu’après, si l’on dit cela, ils n’iront pas !
François de Mazières (dans le public) : C’est très beau. Concernant Rozana, sa thématique est essentielle. Je vous invite à voir toute la biennale. Beaucoup n’ont encore rien vu. Il y a donc 9 expositions, toutes passionnantes, avec des sujets assez différents mais la thématique est toujours la même : c’est l’idée que chaque commissaire ait son indépendance autour d’une thématique commune qui est de faire face au défi climatique. Et face à cette urgence, la première préoccupation c’est la construction. Quand vous regardez le rapport du GIEC, le domaine le plus émetteur de gaz à effet de serre, c’est le logement. En même temps, l’autre idée, c’est que l’on va penser autrement la ville, le logement, l’esthétique… À Versailles, ce qui est très important, c’est la beauté, c’est un mot capital que l’on utilise pas assez souvent. Et c’est donc le talent des architectes qui permet de faire tout cela.
Voilà, un grand merci. Ç’a été un énorme travail. Merci Jana, merci Marie-Hélène pour tout ce que vous nous avez amené.
Marie-Hélène Contal : Chers amis, soyons participatifs. All we go there directly, we will translate, as we can, on the sight if you wish, it is five minutes from here in the courtyard of the school. Je vous propose d’aller tout de suite voir les pavillons.